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Forum Universitaire                                                               Gérard Raynal-Mony                              Séminaire10

Année 2015-2016

                                                                                                                                                    Le 18 mars 2016

 

 

De la nature humaine

L'homme est d'une nature très différente et si supérieure à celle des bêtes, qu'il faudrait être aussi peu éclairé qu'elles le sont pour pouvoir les confondre. Il est vrai que l'homme ressemble aux animaux par ce qu'il a de matériel, et qu'en voulant le comprendre dans l'énumération de tous les êtres naturels, on est forcé de le mettre dans la classe des animaux ; mais la nature n'a ni classes ni genres, elle ne comprend que des individus ; ces genres et ces classes sont l'ouvrage de notre esprit, ce ne sont que des idées de convention, et lorsque nous mettons l'homme dans l'une de ces classes, nous ne changeons pas la réalité de son être, nous ne dérogeons point à sa noblesse, [...] nous n'ôtons rien à la supériorité de la nature humaine sur celle des brutes, nous ne faisons que placer l'homme avec ce qui lui ressemble le plus, en donnant même à la partie matérielle de son être le premier rang.

En comparant l'homme avec l'animal, on trouvera dans l'un et dans l'autre un corps, une matière organisée, des sens, de la chair et du sang, du mouvement et une infinité de choses semblables ; mais toutes ces ressemblances sont extérieures et ne suffisent pas pour nous faire prononcer que la nature de l'homme est semblable à celle de l'animal ; […] nous ne pouvons juger que par les effets, nous ne pouvons que comparer les résultats des opérations naturelles de l'un et de l'autre. […] On conviendra que le plus stupide des hommes suffit pour conduire le plus spirituel des animaux, il le commande et le fait servir à ses usages, et c'est moins par force et par adresse que par supériorité de nature, et parce qu'il a un projet raisonné, un ordre d'actions et une suite de moyens par lesquels il contraint l'animal à lui obéir ; […] par conséquent on doit penser qu'ils sont tous de même nature, et en même temps on doit conclure que celle de l'homme est non seulement fort au-dessus de celle de l'animal, mais qu'elle est aussi tout à fait différente. L'homme rend par un signe extérieur ce qui se passe au-dedans de lui, il communique sa pensée par la parole, ce signe est commun à toute l'espèce humaine ; l'homme sauvage parle comme l'homme policé, et tous deux parlent naturellement, et parlent pour se faire entendre : aucun des animaux n'a ce signe de la pensée. (p. 186s)

Il y a une distance infinie entre les facultés de l'homme et celles du plus parfait animal, preuve que l'homme est d'une différente nature, que seul il fait une classe à part, de laquelle il faut descendre en parcourant un espace infini avant que d'arriver à celle des animaux ; car si l'homme était de l'ordre des animaux, il y aurait dans la nature un certain nombre d'êtres moins parfaits que l'homme et plus parfaits que l'animal, par lesquels on descendrait insensiblement et par nuances de l'homme au singe ; mais cela n'est pas, on passe tout d'un coup de l'être pensant à l'être matériel, de la puissance intellectuelle à la force mécanique, de l'ordre et du dessein au mouvement aveugle, de la réflexion à l'appétit. Il est évident que l'homme est d'une nature entièrement différente de celle de l'animal. (189s)

Tout concourt à prouver que le genre humain n'est pas composé d'espèces essentiellement différentes, qu'au contraire il n'y a eu originairement qu'une seule espèce d'hommes, qui s'étant multipliée et répandue sur toute la surface de la terre, a subi différents changements par l'influence du climat, la différence de la nourriture, celle de la manière de vivre, les maladies épidémiques, et aussi par le mélange varié à l'infini des individus plus ou moins ressemblants ; que d'abord ces altérations n'étaient pas si marquées, et ne produisaient que des variétés individuelles ; qu'elles sont devenues plus générales, plus sensibles et plus constantes par l'action continuée de ces mêmes causes ; qu'elles se sont perpétuées et qu'elles se perpétuent de génération en génération ; et qu'enfin, comme elles n'ont été produites originairement que par le concours de causes extérieures et accidentelles, qu'elles n'ont été confirmées et rendues constantes que par le temps et l'action continuée de ces mêmes causes, il est très probable qu'elles disparaîtraient aussi peu à peu, et avec le temps. (p. 406s)

L'empire de l'homme sur les animaux est un empire légitime qu'aucune révolution ne peut détruire, c'est l'empire de l'esprit sur la matière, c'est non seulement un droit de nature, un pouvoir fondé sur des droits inaltérables, mais c'est encore un don de Dieu, par lequel l'homme peut reconnaître à tout instant l'excellence de son être. […] C'est de la société que l'homme tient sa puissance, c'est par elle qu'il a perfectionné sa raison, exercé son esprit et réuni ses forces ; auparavant l'homme était peut-être l'animal le plus sauvage et le moins redoutable de tous ; [...] et même longtemps après, l'histoire nous dit que les premiers héros n'ont été que des destructeurs de bêtes. Mais lorsque avec le temps l'espèce humaine s'est étendue, multipliée, répandue, et qu'à la faveur des arts et de la société l'homme a pu marcher en force pour conquérir l'univers, il a fait reculer peu à peu les bêtes féroces, [...] il a détruit ou réduit à un petit nombre d'individus les espèces voraces et nuisibles, et subjuguant les uns par adresse, domptant les autres par la force, [...] et les attaquant tous par des moyens raisonnés, il est parvenu à se mettre en sûreté, et à établir un empire qui n'est borné que par les lieux inaccessibles, les solitudes reculées, les sables brûlants, les montagnes glacées, les cavernes obscures, qui servent de retraites au petit nombre d'espèces d'animaux indomptables. (p. 499-502)

Buffon, Histoire naturelle de l'homme, 1749 ; Les animaux domestiques, 1753 ; Pléiade, 2007