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Les frères Farman : des pionniers, hommes de leur temps

par Michel Farman
 

Avant d’évoquer la vie de ces personnages, je m’arrêterai un peu sur "hommes de leur temps".

Les Frères Farman, anglais par leurs parents, correspondants à Paris du London Standard, eurent une de leurs plus grandes chances, celle de naître et de vivre leur jeunesse en France.
En effet, la France, entre 1880 et 1914, fut un pays d’un extraordinaire dynamisme.

Tout d’abord, non seulement l’Etat, mais aussi le peuple croyaient à la vertu du Progrès comme facteur de bien-être social. Le succès des inventions de Jules Verne est là pour confirmer mon propos… et  nous avions inventé la Tour Eiffel et le tapis roulant…
Ensuite, la défaite de 1870 a eu pour conséquence un renouveau patriotique, teinté d’orgueil, matérialisé soit par les grands défilés militaires soit, encore plus, par la consécration des "Héros" qui, par leurs inventions, leur intelligence et leur courage, se lancèrent à l’assaut de tous les nouveaux moyens de locomotion.

Enfin, n’oublions pas la Belle Epoque qui, même si elle ne le fut pas, et de loin, pour tous, attira à Paris, ville-lumière, non seulement des touristes, mais aussi des inventeurs comme Santos-Dumont ou des artistes comme Picasso, et même des mécènes.

 

C’est donc dans ce climat d’enthousiasme et de liberté que le génie "individuel et inventif" français put se développer, supporté par la foule toujours présente aux grandes manifestations sportives.

Pour mémoire, je rappellerai que la France organisa la 1ère course cycliste de ville à ville (Brest, le Tour de France), les grands circuits automobiles (Dieppe), les courses automobiles de ville à ville : Paris-Vienne, Paris-Madrid, et enfin les grandes fêtes aériennes, à partir de 1908, devant des milliers de spectateurs.

Maintenant que vous êtes dans l’ambiance de l’époque, occupons-nous des Frères Farman.

Au préalable, une petite remarque : pour une raison incompréhensible, sauf peut-être pour les sociologues ou les historiens, il y a eu un nombre inhabituel d’"équipes de frères", au début de l’histoire du transport mécanisé. Ainsi, les frères Montgolfier, les frères Wright, les frères Mors, les frères Renault, les frères Michelin, les frères Voisin et les frères Seguin ; ces derniers construisirent en moult exemplaires le premier moteur rotatif en étoile qui ne manquerait pas de nous surprendre aujourd’hui car l’hélice et le moteur, unis, tournaient ensemble autour du vilebrequin.

Il y eut trois frères Farman : Dick, né en 1872, Henry en 1874 et Maurice en 1877.

Dick, l’ingénieur, ira installer au Brésil le premier tramway électrique de Rio de Janeiro. Henry et Maurice, en tandem, se lanceront dans la course cycliste sur piste où ils accumuleront un nombre impressionnant de victoires et de records. Ils furent surnommés, je ne sais pourquoi, l’"Equipe vierge". Un de leurs records ne fut battu que 36 ans après. Maurice, seul, battit le record du monde sur un kilomètre en 1894 (à 17 ans), sur une bicyclette de sa fabrication !

Une anecdote : je me souviens, à l’âge de 12 ans, avoir fait du tandem avec Maurice, mon grand-père ; à l’époque, il y avait peu de grands-pères de 60 ans emmenant leur petit-fils en tandem.


Il est important de noter que la bicyclette, moins dangereuse, a été le géniteur de l’automobile et du plus lourd que l’air. Beaucoup de pionniers passèrent doucement du vélo à la moto, au tricycle et enfin aux quatre roues.


Henri et Maurice, très proches en âge, semblent avoir tiré le meilleur parti du monde qui les entourait. Eduqués à la maison par des professeurs, ils eurent plus de liberté que les écoliers français ou anglais alors qu’ils étaient, par ailleurs, confrontés aux nouveaux jouets des adultes. Ainsi, Henri rappelait qu’il avait aidé au lancement d’un grand cerf-volant, construit par son frère Dick, et qu’à 6 ou 7 ans, il rêvait de voler.

Avant d’aller plus loin dans l’histoire et la vie, je tiens à vous faire part d’une analyse des caractères des trois frères que j’ai lue récemment.

N’ayant bien connu que Maurice, mon grand-père, un peu Henri, dans sa vieillesse et pas du tout Dick (aperçu une ou deux fois lorsque j’avais 10 ans), cette analyse correspond étonnamment à mes sensations.


Dick, l’aîné, avait les pieds sur terre ; il apparaît comme le mentor ou le manager dans les différentes aventures où il fut lié à l’un ou l’autre de ses frères. Mais, une chose est sûre, il ne s’est jamais laissé entraîner dans des compétitions comme celles où ses frères firent preuve de qualités alliant la résistance physique et le courage.

Maurice, le plus jeune, semble avoir été impétueux et brillant, n’hésitant pas à lancer des défis, alors qu’Henri, plus complexe, combinait les traits de ses deux frères. Il était avant tout persévérant et, pour Gabriel Voisin, il était adroit, sportif et maître de la mise au point des moteurs à explosion.

Il était naturel qu’après leurs succès dans les courses cyclistes, Maurice et Henri aient été attirés par les progrès de l’automobile naissante, comme d’autres pionniers de l’époque.


Le nom des Farman apparaît pour la 1ère fois dans les résultats de la 1ère course automobile de ville à ville, Paris-Bordeaux en 1899. Maurice (22 ans) se classa 9ème.

Après ces débuts, les noms d’Henri et Maurice Farman furent connus dans les nombreuses épreuves du début du XXème siècle dans lesquelles ils remportèrent de notables succès (ainsi, Henri fut le vainqueur de Paris-Vienne en 1902). Maurice arrêta la course après le terrible Paris-Madrid qui vit l’épreuve s’arrêter à Bordeaux tellement les accidents étaient nombreux et souvent mortels. C’est au cours de cette course que Maurice arriva le premier sur le lieu de l’accident de son grand ami Marcel Renault (frère de Louis) qui expira dans ses bras.


Henri continua la compétition automobile jusqu’au Grand Prix de Dieppe, en juillet 1908, soit 6 mois après son premier vol. Ceci démontre le talent et le courage du personnage, capable de mener de front l’automobile et le plus lourd que l’air et ce, malgré un accident en 1905 au cours de la Coupe Gordon Bennet où la voiture finit dans un ravin alors que pilote et mécanicien se retrouvèrent accrochés à un arbre !

Pour ceux qui n’ont pas idée des voitures de courses des années 1900, il faut savoir que certaines étaient des monstres composés d’un châssis, d’un moteur, de sièges pour le pilote et le mécanicien, d’un réservoir, le tout avec des freins approximatifs, lancés à plus de 100 km/h sur des routes non goudronnées et non signalisées. Bien entendu, pas de ceintures de sécurité ; aussi Maurice, mon grand-père, m’expliqua un jour que, dans un virage, il avait perdu son mécanicien, sans dommage heureusement.

A partir de 1905, Henri commença à se rendre compte que l’enthousiasme populaire pour les courses automobiles s’amenuisait lentement ; comme la combinaison des risques, de l’effort physique et les demandes de sa famille le poussait à abandonner ce sport, il s’orienta vers autre chose.

Alors, un aspect particulier de sa personnalité se précisa : "Mon ambition, étant jeune  était d’être un grand artiste", disait-il. Henri, aux Beaux-Arts, s’orienta vers la peinture à l’eau et à l’huile ; il fut remarqué par un des maîtres, Gustave Courtois, qui le prit dans son atelier. Le résultat fut celui de quelques tableaux remarquables. Cependant, après 5 ans, Courtois expliqua à Henri qu’il pouvait devenir un grand artiste, mais à condition d’oublier l’autre partie de sa vie, la compétition cycliste ou automobile. "Vous devez choisir l’art ou la mécanique" lui dit Courtois. Henri essaya de faire encore les deux, mais la peinture fut son passe-temps et la mécanique son avenir.

1907-1908 clôt la partie compétitions automobiles des deux frères. Une question se pose : cet attrait était-il seulement le plaisir du sport, l’espoir de la victoire ou bien un moyen de promouvoir leurs intérêts d’hommes d’affaires ?


Je dois vous rappeler que, bien qu’étant nés en France et s’étant épanouis dans l’ambiance de la France, les frères Farman étaient nés Anglais et anglicans, ce qui les prédisposaient aussi au sens des affaires et à l’envie de réussir financièrement, ce qu’ils firent avec succès.

Henri avait un magasin de pièces et accessoires automobiles avenue de la Grande-Armée, avec une succursale à Londres.


Maurice, de vendeur, devint associé de Neubauer (qui existe toujours) qui possédait Le Palais de l’automobile, garage où il représentait Peugeot, situé à l’emplacement actuel de l’hôtel Concorde. Mon grand-père, en 1963, à plus de 80 ans, regrettait encore de ne pas avoir gardé le terrain, étant donnée sa nouvelle valeur.

Pour vous donner une idée de la réussite financière de ces pionniers, sachez qu’en 1907, à 30 ans, Maurice Farman put acheter, dans la vallée de Chevreuse, une propriété de 14 ha dans laquelle l’électricité provenait d’un moteur alimentant une série de batteries ; mais, surtout, passionné d’astronomie, nouvelle preuve de son éclectisme, Maurice travailla avec le grand astronome Flammarion et fit construire un observatoire dans lequel la coupole suivait automatiquement la courses des astres.

Egalement très sportif, Maurice, dès 1908, faisait de l’alpinisme et du ski, à Chamonix.


Ce chapitre "automobile" nous a montré combien les frères Farman étaient courageux et intrépides, mais également hommes d’affaires, peintre et astronome.


Nous arrivons à la 3ème partie de la vie des Farman, celle de l’aéronautique.

Avant d’aborder l’histoire, je me suis posé la question suivante : "De quoi l’aviation est-elle née ?"

Il y a longtemps, quand j’étais jeune, les Ader, Wright, Blériot, Santos-Dumont, Farman étaient simplement des héros s’étant un jour lancés à l’assaut du ciel. Aujourd’hui, plus pratique, je résume la naissance de l’aéroplane à trois données qui ont, elles, permis aux pionniers d’exprimer leur audace :

1) l’envie antique, mais permanente de l’homme de s’affranchir de la terre comme un oiseau ;


2) l’invention du moteur à explosion qui permit d’abord l’automobile, comme la machine à vapeur permit le chemin de fer (l’utilisation de la vapeur pour le premier, mais petit, vol de Clément Ader n’a fait que confirmer la non validité de ce moyen de puissance) ;


3) la disponibilité de moyens financiers ; un avion, même primitif, était déjà un organisme compliqué nécessitant du temps et des matières premières que seule une fortune personnelle (Santos-Dumont), une entreprise (Wright) ou une activité commerciale (Farman) permettait de financer.


Alors, ceux qui se lancèrent à la conquête de l’air mirent souvent en jeu non seulement leur vie (Blériot 120 accidents avant le succès), mais également leurs biens propres.

Bien qu’il ait fait quelques essais de planeur, ce ne fut pas Henri, mais Maurice qui prit l’air le premier, en ballon libre, en 1894 (17 ans) et Henri le suivit. Cependant, Henri, tout à la compétition automobile et à son affaire, ne continua pas longtemps tandis que Maurice, avec le brevet n°7, devint un expert de la navigation en ballon libre.


Ce ballon était gonflable au gaz, des sacs de sable servant de lest étaient vidés au fur et à mesure que le gaz diminuait afin de maintenir l’altitude. Pour redescendre vers la terre, il suffisait de diminuer la quantité de gaz et, avant d’atterrir, un grappin en forme d’ancre était jeté par-dessus bord, afin de fixer l’engin au sol.

Henri, n’oubliant pas son désir d’enfance de voler, s’informait régulièrement des expériences de Lilienthal, Chanute et Archdeacon en planeur, et des vols des frères Wright.

Son intérêt pour les courses automobiles s’épuisant, Henri se sentit un intérêt grandissant pour le plus lourd que l’air. Après une année d’essais de modèles de planeurs, à l’intérieur puis à l’extérieur, petits d’abord, puis de plus en plus grands jusqu’à ceux capables de le porter, Henri était prêt à essayer un plus lourd que l’air motorisé.

Henri Farman, comme d’autres pionniers de la même époque, en dehors du désir de voler, en dehors du challenge d’être le premier, était encouragé par l’idée de gagner le Grand Prix de l’aviation que les mécènes Deutsch de la Meurthe et Archdeacon avaient fixé, en 1904, à 50 000 francs-or, somme énorme à l’époque.

Le prix devait être attribué au premier aviateur dont la machine serait capable de quitter le sol par sa propre force, de passer entre deux pylônes séparés par 25 mètres, de faire un virage à 180° autour d’un pylône situé à 500 mètres et de revenir atterrir entre les deux pylônes du départ ; le tout, bien entendu, sans incident.

On peut être étonné d’une telle somme pour un exploit qui pouvait sembler très minime, alors que, depuis leur 1er vol en 1903, les frères Wright (fabricants de bicyclettes) avaient considérablement amélioré leur machine et savaient réellement voler, maîtrisant parfaitement montée, descente, virage et atterrissage.

Cependant, phénomène incompréhensible pour moi, entre 1903 et 1908, les frères Wright n’ont jamais essayé de résoudre le problème du décollage indépendant de leur machine.

Pour s’envoler, leur avion était posé sur un chariot, lui-même sur un rail qui lançait l’avion à l’aide d’un contrepoids, un peu comme une modeste catapulte. Ce faisant, l’avion Wright, sans roues, se posant sur des patins, pouvait sûrement voler, mais était toujours obligé de revenir à son point de départ. Peut-être les frères Wright n’envisageaient-ils l’avion que comme un plaisir de voler et non comme un futur moyen de déplacement ?


Le premier vol indépendant homologué fut celui de Santos-Dumont qui, en 1906, établit  à Bagatelle le record de distance, soit 200 mètres.

Henri Farman, dont le premier objectif était de battre ce 1er record, s’enquit de trouver une machine ; il s’adressa aux frères Charles et Gabriel Voisin qui, les premiers, avaient créé une entreprise destinée à fabriquer des aéroplanes, soit en suivant les désirs du client, soit en proposant leur propre modèle. C’est ce dernier choix que fit Henri.


A ce sujet, je me suis toujours posé la question : pourquoi les Voisin, qui avaient construit et piloté nombre de planeurs, n’avaient-ils pas tenté eux-mêmes l’aventure du Prix de l’Aviation ?


Henri acheta donc, le 1er juin 1907, pour 13 000 francs, un avion Voisin (le moteur Antoinette de 50 CV ayant, je crois, été prêté par le constructeur), toutefois à deux conditions :

La 1ère, qu’Henri puisse modifier l’engin suivant ses désirs.

La 2ème, que la facture ne soit réglée que si l’avion était capable de voler 1 000 m en ligne droite.

Pour la petite histoire, G. Voisin, lors de l’achat, pensait qu’Henri Farman n’avait absolument aucune connaissance des problèmes de l’aviation. Vrai ou faux, en fait, Henri fit rapidement connaissance avec l’air, puisqu’en moins de 6 mois, il fut capable de modifier la machine et de la maîtriser.

Pour essayer son avion, le choix d’Henri se porta, comme beaucoup d’autres, sur le terrain d’Issy-les-Moulineaux qui, étant la propriété de l’armée, nécessitait, pour son utilisation, une autorisation accordée seulement pour des périodes de temps précises et limitées : en général, le matin de bonne heure.

Par rapport à l’héliport d’aujourd’hui, le terrain de manœuvres était plus étendu et allait au-delà du périphérique actuel.

Pour abriter son engin, Henri Farman fit construire un hangar, mais celui-ci devant être situé en dehors de la zone militaire, il fallait, pour rejoindre la piste d’essais, faire passer l’avion, grâce à une passerelle en bois, par-dessus un petit mur !


Je vous rappelle qu’avant de voler, le premier problème à résoudre était celui du décollage. D’instinct, les premiers pilotes orientaient les gouvernes de profondeur dans la position "montée". Comme les avions de l’époque reposaient sur 2 roues à l’avant et une ou deux à l’arrière, l’action de la gouverne de profondeur avait obligatoirement tendance à plaquer la queue de l’avion au sol. Dans le cas où le moteur était suffisamment puissant, l’avant de l’avion se soulevait puis se cabrait et retombait en faisant des dégâts.


Henri Farman a lui-même déclaré qu’un jour, lassé de ses insuccès, il lâcha les commandes et qu’alors, l’avion, de lui-même, se mit en position horizontale, libérant ainsi l’arrière et tout doucement commença à flotter dans l’air, une simple pression sur la gouverne de profondeur et la machine commença à monter doucement.

Après des essais de confirmation et quelques modifications techniques pour mieux équilibrer l’engin, en octobre 1907, Henri améliora le record du monde de distance pour un plus lourd que l’air en réussissant, par les seuls moyens de l’avion, à décoller et à voler sur une distance de 700 m. Le contrat avec Voisin stipulait 1 000 m, mais comme le terrain d’Issy-les-Moulineaux ne permettait pas plus de 700 m, Henri Farman se considéra comme satisfait.


Fin octobre 1907, Henri Farman savait décoller et maintenir son avion stable en ligne ; il lui restait à apprendre le virage pour vraiment voler et, pour cela, il fit de nombreux essais. Il a raconté qu’au cours de ses tentatives, l’avion était bien parti sur la gauche, avait survolé les badauds venant voir l’homme qui volait et avait réussi à se poser correctement.


Henri fit une première tentative officielle en décembre 1907, mais son vol, presque parfait, ne put être homologué car, dans le virage, une roue avant avait effleuré le sol (il ne prenait pas de risque en volant trop haut).

Enfin, le 13 janvier 1908, devant les donateurs du Prix et la commission de l’aéroclub de France, Henri Farman réussit le premier kilomètre en circuit fermé avec un avion capable de décoller, de virer et de se poser sans dommage.


Henri Deutsch félicitant Henri déclara, après une accolade bien française, que cet exploit était le plus important  de l’histoire de l’aviation.

Beaucoup, à l’époque ou peut-être aujourd’hui, purent ou peuvent trouver cette déclaration un peu  pompeuse, mais si l’on regarde l’évolution de l’histoire de l’aéronautique, c’est à partir de ce 13 janvier 1908 que les autres concurrents apprirent tour à tour à décoller et que l’aviation, en majorité française, se développa très rapidement.

Dès 1908, il y eut des meetings où différents constructeurs s’affrontèrent, des prix pour des records de durée, de vitesse, d’altitude … Ceci est tellement vrai, qu’un homme d’affaires s’empressa de faire venir en France Wilbur Wright et ses avions. Au début, les avions Wright gagnèrent des compétitions, mais bien vite ils furent rattrapés ; et puis, ils ne savaient toujours pas décoller par eux-mêmes.

Henri Farman réussit, en octobre 1908, le premier vol de ville à ville sur environ 30 km, du terrain militaire de Chalon (village de Bouy) jusqu’à Reims. Il raconta que sa grande peur avait été une ligne de peupliers, mais son moteur Antoinette fut fidèle et l’avion s’éleva au-dessus des 30 m nécessaires. Ce vol peut être considéré comme l’acte de naissance du transport aérien.

Peut-être juste avant ou juste après, Henri Farman emmena, dans les airs, un passager. L’aviation était vraiment née.

En 1909, Maurice Farman, son frère construisit son premier avion.

Un peu plus tard, Henri, après avoir inventé les ailerons pour faciliter les virages (développement majeur existant toujours sur les avions modernes) rompit avec G. Voisin, car l’avion qu’il avait commandé avait été livré en priorité à un client plus fortuné, Lord Brabazon. Devant ce fait, Henri se décida à construire son propre avion.

Le 7 janvier 1909, Henri reçut le brevet n°5, son frère, Maurice, lui, reçut le n°6, le 18 novembre 1909.

Pendant l’été, il gagna, sur son avion, les prix de durée et de distance, lors du premier meeting international de Reims (un million de spectateurs !)

En décembre 1909, Maurice réussit Etampes-Toussus, de nuit avec un passager.


A ce propos, une petite anecdote, quand je pilotais un peu, mon grand-père me dit qu’il aimerait faire avec moi le même parcours, en m’indiquant une route où il n’y aurait qu’une seule ligne de grands arbres à franchir. Maurice a toujours préféré ne pas voler trop haut. Du reste, lors d’un meeting auquel j’assistais, enfant, dans les années 30, j’ai entendu d’autres pilotes dire, en voyant un avion arriver : "altitude : 150 m, moteur à 1500 tours, queue basse, c’est Maurice Farman".


L’année 1910 est encore une année de divers records de vitesse ou d’altitude, pour Henri Farman, pilote en France, en Angleterre, en Allemagne ou en Belgique ; mais la période "pionnier" s’achève pour laisser place à celle de constructeur d’avions.


Pour conclure cette période, je pense que la très grande qualité d’Henri Farman a été, en dehors de toutes les qualités de courage ou de techniques, celle d’avoir un énorme instinct de l’air et du vol.


En quelques mots, je vais vous résumer l’évolution des frères Farman, de petits fabricants d’avions à ceux de grands industriels.

A partir de 1911, Henri et Maurice, chacun de leur côté, produisirent des avions avec lesquels d’autres pilotes établirent divers records.

A l’époque, un avion avec moteur coûtait environ 25 000 francs-or ; mais il se trouvait suffisamment de clients pour que ce soit une activité très profitable. En 1912, bien que féroces concurrents, les deux frères s’entendirent pour avoir la même usine de production qui s’établit à Billancourt (Boulogne). La première école de pilotage "Farman" fut démarrée par Henri à Toussus-le-Noble, en 1911. Toussus fut, dès lors, le terrain d’aviation des Farman.


Pendant la première guerre mondiale, un certain nombre de modèles d’Henri ou de Maurice furent livrés aux aviations française et anglaise. Ces avions d’observation ou de bombardement furent rapidement démodés et le MF40 servit surtout d’avion-école.


Cependant, l’usine de Billancourt, située entre la rue de Silly et la rue de Billancourt, produisant des modèles pour Farman et autres constructeurs, devint l’entreprise aéronautique la plus importante d’Europe, si ce n’est du monde. Si mes informations sont exactes, 300 avions par mois sortaient de cette entreprise.

En 1917, le gouvernement français demanda aux Farman de s’associer pour n’avoir qu’une société. C’est ainsi que naquit la Société Anonyme des usines Farman. Comme les egos d’Henri et de Maurice avaient tendance à entrer en conflit, ce fut Dick Farman, le frère aîné qui prit, en qualité de mentor, la présidence de la nouvelle société.

Enfant, je me souviens que Dick et mon grand-père, Maurice, avaient un bureau commun alors qu’Henri en avait un pour lui seul. Henri continua ses recherches pour créer de nouveaux modèles et pour ce faire, il avait, au-delà de la rue de Billancourt, un petit atelier, déjà prénommé Atelier X.

Toujours fidèle au biplan, Henri dessina et lança, début 1918, un avion moderne pour l’époque. Ce bombardier bimoteur, le Goliath, était capable de transporter 500 kg de bombes sur un circuit de 500 km. La fin des hostilités ne permit pas à cet avion de participer réellement au conflit.

Avant d’évoquer la suite de l’histoire, je tiens à vous rappeler, si je ne l’ai pas déjà fait, qu’en 1914 et même en 1918, la France était le n°1 mondial pour l’automobile (malgré Ford) et l’aviation. Après, ce fut plus difficile car le génie individuel ne pouvait lutter contre la créativité et la production de masse.

En 1919, pour beaucoup de secteurs industriels, l’arrêt des combats eut pour conséquence l’arrêt des commandes militaires ; et les industriels se trouvèrent confrontés à des surplus de moteurs, de carlingues et autres objets mécaniques.

Les Farman, avec beaucoup de logique, attaquèrent le problème de front : utiliser leur potentiel aéronautique en transformant le bombardier Goliath en un avion commercial de 28 passagers et en organisant les "lignes aériennes Farman" qui furent la première compagnie française à transporter régulièrement, par avion, des passagers.

Les premiers vols commerciaux, en 1919, s’élancèrent vers Bruxelles et Londres. Les avions Farman  Goliath et autres modèles, plus modernes, établirent des liaisons dans toute l’Europe, soit directement,  soit en pool avec les compagnies étrangères. Ainsi, j’ai eu en mains un petit livre publicitaire où, en 1926, le programme des vols vous précisait qu’à partir de Paris, il était possible d’aller,  jusqu’à Leningrad.

En 1933, le gouvernement français qui subventionnait largement le transport aérien, demanda à toutes les compagnies aériennes françaises de fusionner, et ce fut la création d’Air France, qui restait cependant une compagnie privée (nationalisée en 1946 ?).

Dick Farman fut l’un des signataires de l’accord.

Si le transport aérien et l’aviation civile en générale ont pu se développer aussi rapidement, c’est en partie grâce, au début des années 20, à l’invention du pilotage aux instruments par l’ingénieur Rougerie de l’école Farman.


Monsieur Rougerie se trouvant un jour aux commandes d’un petit avion dans un épais nuage, perdit complètement la notion de la position de son  engin et se retrouva même sur le dos. De sa mésaventure sans conséquences, il ressentit la nécessité d’équiper les avions d’instruments de contrôle et inventa ainsi le PSV ou Pilotage Sans Visibilité.

Pour que l’élève-pilote soit dans les conditions d’un PSV, la place avant qu’il occupait était recouverte d’un dôme de tissu noir pendant que le moniteur, à la place arrière, contrôlait les manœuvres de son élève.

J’oubliais de préciser qu’il s’agissait d’avion où pilote et élève étaient à l’air libre !


Enfant, à Toussus, j’ai même pu voir, abandonné dans un hangar, une machine composée d’un tronçon de carlingue avec un poste de pilotage, un manche, un palonnier, des cadrans, le tout pouvant être recouvert d’un capuchon, mettant l’élève dans l’ambiance d’un PSV.

Derrière le tronçon de carlingue, un certain nombre de manettes permettaient au moniteur de faire varier l’assiette de la carlingue et ainsi juger des réactions de l’apprenti pilote, en fonction des instruments.


Dans les années 1925, les pilotes américains, venus apprendre à piloter chez Farman, trouvèrent ce simulateur intéressant et promirent que bientôt ils en produiraient de plus sophistiqués qu’ils nous  vendraient.


En 1945, nous avons fait connaissance avec les premiers Linktrainer (appelé aujourd’hui simulateur).

Pour utiliser les compétences techniques de leur entreprise, les Farman, surtout Maurice, se lancèrent dans l’élaboration et la production de voitures de grand luxe, l’idée étant de concurrencer Hispano, société qui, elle aussi, avait des surplus de la guerre.


Les voitures Farman, à moteur Farman, dont la carrosserie pouvait être différente suivant les demandes  du client, comportaient d’importantes innovations techniques, pas toujours très fiables, dues à   l’expérience aéronautique.


Le slogan publicitaire de ces modèles était : "Une voiture roule, une Farman glisse". Je laisse au  public le soin d’apprécier ce slogan.

Environ 120 à 130 voitures furent produites à Billancourt. Il en reste quelques unes aujourd’hui dans des Musées ; deux sont à Mulhouse et un magnifique coupé 4 places décapotable, couleur argent à Guernesey.


Enfant, avec ma grand-mère et son chauffeur, j’eus le plaisir de me promener dans toute la France dans l’une des deux dernières Farman construites, l’une, noire, pour Henri, l’autre, grise, pour Maurice.


Enfin, pour utiliser leurs moteurs d’avion, les Farman construisirent un certain nombre d’hydroglisseurs dont le principe était celui d’un bateau à fond plat avec, à l’arrière, surélevé, un moteur d’avion dont  l’hélice propulsait le bateau. L’idée était d’utiliser ces machines comme moyen de transport dans les  pays (colonies) aux cours d’eau peu profonds ou marécageux, tout en garantissant une vitesse relativement élevée. Aujourd’hui, nous voyons ce genre de machines, dans les films américains, dans les bayous de Louisiane.


Entre 1929 et 1930, l’aviation française garda une aura internationale, marquée par des records et des raids. Des Farman-Goliath furent vendus en Roumanie et même au Japon. Cependant, notre avancée technique déclina lentement ; la Crise de 1929-1930 marqua la fin de notre suprématie.

Les U.S.A., avec le DC2, annonçaient le renouveau technique des avions de lignes.

L’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie nous devancèrent dans certains modèles et, surtout, par la puissance de leurs moteurs.

Entre 1930 et 1936, la société Farman produisit, entre autres multiple prototypes, un excellent avion de tourisme, acheté par les plus fortunés de l’époque et utilisé pour des raids à longue distance (Saïgon, Madagascar) et un gros bombardier quadrimoteur, très fiable, malheureusement démodé par sa conception et trop lent.

Ce modèle eut quand même deux mérites : le premier, d’avoir été employé, après la mort de Mermoz, par Air France sur l’Atlantique sud où il fit 150 traversées de l’océan, entre Dakar et Natal (Brésil), sans aucun incident.  Le second, d’avoir, en réplique au bombardement de Paris par les Allemands, en juin 1940, lâché des bombes sur Berlin, partant de Bordeaux et arrivant par la Baltique et le nord, à la surprise de nos ennemis.


En 1936, l’histoire Farman s’achève par la nationalisation de l’entreprise.

Pour terminer, trois anecdotes à propos du génie d’Henri Farman :

-  peintre imaginatif, lors d’un séjour chez son frère, à Chamonix, un jour de grande neige, Henri peignit un coucher de soleil sur la mer ;

-  également à Chamonix, comme les remontées mécaniques n’existaient pas encore, Henri avait inventé, et je les ai vus, des skis articulés devant faciliter la montée ;

-  enfin, plus sérieusement, en 1937, aimant le ski nautique, il fit fabriquer, suivant ses directives, un modèle qui, d’après les spécialistes, fut très compétitif.