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Renault en Afrique

Conférence donnée le jeudi 1er décembre 2005

Par Marie-Christine ROUXEL
Historienne

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Raconter en une heure l'histoire de Renault en Afrique entre les deux guerres est une tâche impossible tellement la firme s'est impliquée sur le continent africain. Comme nous sommes dans un cycle de conférences sur l'aventure de la conquête de l'air, c'est en priorité sur la part que Renault a pris dans ce domaine que j'orienterai mon propos, et je ne pourrai malheureusement qu'évoquer les grandes lignes des extraordinaires aventures des raids automobiles.

Il est important de bien préciser au départ que Louis Renault a toujours travaillé en Afrique la main dans la main avec l'armée.
Renault est présent en Afrique dès le début du siècle. Il n'y a guère de pistes, mais des touristes n'hésitent pas à affronter les régions désertiques avec leur Renault. La firme s'implique dans l'aviation dès 1908 en fournissant des moteurs, notamment à Farman et à Bréguet, mais elle ne participe pas aux premiers vols africains.


Pendant la guerre, l'aviation se développe considérablement et Bréguet construit en très grandes quantités son modèle type 14, dont beaucoup d'exemplaires sont équipés de moteurs Renault 300 ch.
Après les hostilités, ce Bréguet-14 devient l'avion-phare de l'Afrique, utilisé tant par les civils que par les militaires.

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Usine de Bréguet-14

Treize escadrilles seront installées en Afrique du Nord, chacune étant équipée de 10 avions pour la chasse et le bombardement. Au Maroc, où l'instabilité persiste, ces escadrilles soutiennent les opérations terrestres dirigées par le maréchal Lyautey. L'aviation effectue des reconnaissances, à vue ou photographiques, elle assure la liaison entre les différents postes, largue argent, médicaments, courrier, tabac, et évacue les blessés et les malades. Beaucoup de Breguet à moteurs Renault sont employés à ces tâches.

Sur le reste du territoire africain la situation est plus calme et l'on s'active à ouvrir des voies nouvelles, l'heure des grands raids sonne.

Avec un Breguet-14 à moteur Renault 300 ch, le 26 janvier 1919, Roget et Coli traversent la Méditerranée d'Istres à Alger, malgré le mistral et la tempête, puis reviennent le lendemain par la même voie.

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Bréguet-14

Le 25 mai suivant, tous deux réussissent la liaison Paris-Rabat sans escale, soit1 800 km, record mondial pour un appareil monomoteur. 

Du 18 au 28 juin, c'est au tour de Lemaître de réaliser un vol de Paris à Casablanca, puis Mogador et Port-Etienne, en 18 heures, n'arrivant malheureusement pas jusqu'à Dakar comme il l'espérait. 

Le 7 août, le commandant Vuillemin réussit Paris-Le Caire et retour en 63 h 30 de vol. 
Bellot choisit un hydravion Farman à moteur Renault 280 ch pour traverser deux fois la Méditerranée, sur le parcours Monaco-Bizerte-Sousse et retour. 

Louis Renault se préoccupe bien sûr des transports sur terre en Afrique. L'armée cherche à assurer des liaisons rapides avec les postes du sud saharien exposés aux coups de tribus rebelles et, pour cela, il faut trouver les véhicules les plus adaptés et les meilleures pistes à suivre. 

Différents projets sont mis à l'épreuve.
Au concours militaire de 1917, Renault avait présenté un camion à chenilles mais, lors des essais entre Ouargla et In Salah, les palets de bois des chenilles n'avaient pas résisté aux efforts demandés. 
Il faut trouver autre chose... On va tenter une coopération entre l'avion et l'automobile.

La mission auto-avion Saoura-Tidikelt faisant le tour de tous les postes du sud algérien ayant été un succès au début de l'année 1919, le général Nivelle et le général Laperrine préparent une mission du même type pour tracer une nouvelle voie Paris-Alger-Tombouctou-Dakar. 

Le 27 décembre 1919, 26 camionnettes de diverses marques quittent Touggourt. Neuf véhicules atteindront Tamanrasset le 31 janvier 1920.

Quinze jours plus tard, trois avions Breguet-16 à moteur Renault 300 ch prennent le relais et s'envolent pour continuer la mission. 

Dès le départ d'Alger, l'avion piloté par le général Nivelle a des problèmes de moteur et doit abandonner. Le général Laperrine le remplace pour diriger la partie la plus périlleuse du raid. Les deux Breguet restants quittent Tamanrasset pour affronter le désert. Le premier a pour équipage le commandant Vuillemin et le lieutenant Chalus, le second est piloté par l'adjudant-chef Bernard, assisté du mécanicien Vaslin, et emmène le général Laperrine. Il n'y a pas de place à bord pour trois passagers... aussi le général doit-il s'asseoir sur les genoux de Vaslin.

Le temps se gâte très vite, la brume enveloppe les avions qui retrouvent péniblement la piste et se dirigent vers le dépôt d'essence de Tin Zaouten. 
Et le drame survient. 

Perdu dans le brouillard, en panne d'essence, l'avion de Laperrine doit atterrir en plein Tanezrouft, le désert de la soif, très loin de Tin Zaouten. L'appareil capote, se brise et le général, gravement blessé, succombe. Il sera enterré à Tamanrasset au côté de son ami le Père de Foucauld. 
Les deux autres membres de l'équipage souffrent de la faim, de la soif et de la chaleur, et le pilote ne voit d'autre issue que le suicide. Vaslin, très croyant, garde confiance, réussit à le convaincre d'y renoncer ...et le miracle se produit. Après 24 jours d'attente, ressemblant à des fantômes, ils sont retrouvés par un peloton de méharistes. 

Plus chanceux, l'avion du commandant Vuillemin et du lieutenant Chalus a réussi à atteindre le Niger et s'est posé indemne à Ménaka, mais le réservoir à sec et à dix jours de marche de Gao. Ce n'est que le 18 mars, un mois après le départ de Tamanrasset, qu'ayant enfin réussi à se procurer de l'essence, l'équipage parvient à Tombouctou.

Malgré tout les raids doivent continuer.

Parmi eux, notons qu'en 1922 le lieutenant Pelletier d'Oisy relie Paris à Tunis en 12 h 15, malgré la pluie, les rafales et le vent, avec un Breguet 14 à moteur Renault 300 ch, auquel il a rajouté 2 réservoirs d'essence.
Le lieutenant Mariotte, avec un avion semblable, va d'Alger à Casablanca en 8h 20 de vol réussissant à parcourir sans escale 1 200 km.

Dans le domaine civil, à la fin de la guerre, le constructeur d'avions Latécoère pense à l'aviation commerciale mais il a du mal à y intéresser les pouvoirs publics. Il rachète à bas prix aux Domaines des avions militaires usagés, notamment des Breguet-14 à moteurs Renault qui se révèleront particulièrement bien adaptés à l'Afrique, puis il crée la Compagnie générale d'entreprises aéronautiques, plus connue sous le nom de Lignes Latécoère, en vue de transporter le courrier jusqu'en Amérique du sud, via l'Espagne, le Maroc, la Mauritanie et le Sénégal.

L'histoire de l'Aéropostale, nom qu'elle prendra en 1927, et sa mystique du courrier, est trop connue pour la raconter ici. Le courrier s'envole de Toulouse pour Barcelone, Alicante, Tanger et Casablanca. Le pilote change à chaque étape. 
De temps en temps un personnage important prend place à côté du pilote.

Avec une forte participation de l'armée, c'est l'organisation en 1923 des escales à travers le Maroc, la Mauritanie et le Sénégal : Agadir, Cap Juby, Villa Cisneros, Port-Etienne, Nouakchott, St Louis et enfin Dakar d'où se fera la traversée de l'Atlantique vers l'Amérique du Sud. 
On négocie avec les tribus nomades et on prévoit 35 terrains de secours.

La ligne Casablanca-Dakar est ouverte par trois Breguet-14 venus de Toulouse. Ils rencontrent quelques problèmes. Faute de pompes à essence à chaque escale, les équipages doivent faire le plein à la main et ils prennent du retard ; peu avant d'arriver au but, ils se perdent dans la brume et se posent en ordre dispersé, mais qu'importe, la voie est tracée totalisant 4 695 km de Toulouse à Dakar. Il reste encore à créer une infrastructure. 

Les pilotes affrontent de grandes difficultés de toutes sortes dont celles de tomber aux mains de brigands dans le désert et beaucoup y laisseront leur vie. 
Le plus charismatique d'entre eux sera bien sûr ... Mermoz. 
Deux cents Breguet-14 participeront à cette aventure, la plupart munis de moteurs Renault.

Le gouvernement juge qu'il est nécessaire d'envisager de grandes lignes aériennes reliant Paris à ses colonies, puis les colonies entre elles, permettant notamment aux hauts fonctionnaires métropolitains, civils et militaires, de voyager rapidement.

Latécoère ouvre en octobre 1922, une nouvelle ligne Casablanca-Rabat-Fès-Oran.

Une autre compagnie, la Société du réseau aérien transafricain, exploite la ligne Alger-Sétif-Biskra en 1922. Munie de quinze avions, dont une partie à moteurs Renault, elle transporte en 3 heures, au lieu de 18 par voie ferrée, les touristes qui à Biskra visitent les oasis en avion. Lorsque l'année suivante elle doit augmenter son capital, Renault y souscrit à condition qu'elle n'utilise plus que des moteurs Renault.

Comme nous le verrons, la méthode de Louis Renault sera toujours la même en Afrique : prendre des parts du capital dans les compagnies automobiles ou aériennes pour imposer ses fabrications. Dans le cas présent l'investissement est perdu, tous les beaux projets de cette société tombent à l'eau, en janvier 1924 elle doit déposer son bilan.

Redescendons un peu sur terre maintenant. 
Louis Renault fait des essais de véhicules munis de palets métalliques, mais ils ne s'avèrent pas plus concluants qu'avec les palets en bois. C'est alors que le général Estienne s'intéresse aux chenilles à propulseur Kégresse-Hinstin et pousse André Citroën à les installer sur sa nouvelle 10 CV, espérant ainsi résoudre le problème de la locomotion dans le sable.

En 1922-1923, avec cette Citroën équipée de ce système, la mission Hardt-Audouin-Dubreuil réussit la première traversée du Sahara, un exploit extraordinaire. 
André Citroën rêve déjà d'organiser des circuits touristiques dans le désert, avec hôtels de luxe, mais cela lui vaudra quelques déconvenues.

Quelques mois plus tard, il organise une deuxième expédition pour essayer de trouver une meilleure voie à suivre pour franchir le Sahara. Le général Estienne demande que ses fils Georges et René en fassent partie et la dirigent.

Cependant le général n'est pas convaincu de la fiabilité des chenilles qui ne résistent pas sur tous les terrains.

Il connaît et apprécie Louis Renault puisque pendant la guerre ils ont mis au point ensemble le fameux char FT-17. Il lui a donc demandé d'accélérer l'étude d'un véhicule à six roues qu'il a entreprise.

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Châssis six-roues

La première six-roues, type MH, sort de l'usine de Billancourt le 1er décembre 1923. Elle emprunte la mécanique de la 10 CV KZ mais, au lieu de deux roues motrices, elle en comporte quatre, montées sur deux essieux parallèles. Chacune des roues est remplacée par un ensemble de deux roues jumelées, chaussées de pneus basse pression que l'on peut légèrement dégonfler pour mieux rouler sur les terrains mous. La six-roues est donc en réalité une douze roues.

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Première six-roues

Dès la fin du mois, une mission est organisée pour la tester sur le parcours Toggourt-Tozeur, sud algérien-sud tunisien. Cette expérience est suivie de très près par la Compagnie Générale Transatlantique. Par l'intermédiaire de sa filiale, la Compagnie des auto-circuits nord africains, elle possède déjà seize somptueux hôtels et 23 cars Renault et elle cherche à améliorer ses excursions. 

Douze passagers, dont M. Dial Piaz directeur de cette compagnie, prennent place dans deux voitures. Le voyage se passe si bien, dans des voitures confortables, qu'au retour de ces trois jours ils enchaînent pour des essais de deux jours dans le M'Zab, une confédération de sept oasis. Le succès est total, la Compagnie des auto-circuits nord-africains va mettre ces excursions à son programme, mais en prenant soin toutefois de faire circuler les six-roues par groupe de trois, pour qu'elles se portent mutuellement assistance en cas d'ensablement.

Louis Renault a fait la connaissance de Gaston Gradis, directeur de la Société aéronautique Nieuport à Issy-les-Moulineaux. 
En contemplant la carte de l'empire français, Gradis a été frappé par le bloc que forment la métropole et ses possessions en Afrique du Nord et en Afrique Noire. 

A l'intérieur de ce grand espace, la Méditerranée est une zone de passage, et le Sahara en est une autre, car la côte atlantique est inhospitalière et les deltas marécageux.
C'est ce qu'il appelle "le grand-axe", et il va travailler à l'établir. Pour cela, il fonde la Compagnie Générale Transsaharienne qui a pour but la création d'une liaison régulière par automobile entre l'Afrique du Nord et le Niger. Cette voie permettrait également la réalisation d'une ligne aérienne. La six-roues semble adaptée à ce projet.

C'est avec trois de ces voitures que la mission Gradis se propose de traverser le désert. 
Citroën, qui reconnaît la valeur de la six-roues, est inquiet et il crie à la trahison quand il apprend que les frères Estienne sont du voyage. Deux mois plus tôt, ceux-ci ont découvert un superbe terrain d'aviation à Ouallen et en ont repéré un autre possible. Ils ont cartographié le plus court chemin du sud oranais à l'AOF, jalonné le parcours de bornes, occupant pour la première fois le site qui deviendra par la suite le fameux Bidon V.
Un duel Renault-Citroën s'engage.

Au même moment, une mission concurrente Citroën emprunte ce nouvel itinéraire et c'est la compétition. Les auto-chenilles partent dans la nuit du 23 au 24 janvier 1924, les Renault 24 heures plus tard, mais elles doublent les Citroën dès le 26. 

Peu après Adrar, une des six-roues casse son pont arrière et les deux autres affrontent seules le terrible Tanezrouft, interdit aux caravanes car il n'y a aucun puits.

Entre Tilemsi et Tabankort la mission Renault, mal renseignée, prend une mauvaise piste et elle doit revenir sur ses pas pour chercher de l'essence. Les Citroën, tout étonnées, repassent en tête et arrivent à Bourem 5 heures avant elle. Mais elles sont parties une journée avant les Renault, et celles-ci ont donc été quand même les plus rapides. 

Là, les deux expéditions se séparent, les auto-chenilles vont à Tombouctou avant de reprendre le chemin du retour le 11 février. 

La mission Gradis poursuit sa reconnaissance jusqu'à Gao, à l'étonnement des populations qui n'ont encore jamais vu de voitures. Elle va même au delà, jusqu'à la rencontre de la piste qui remonte du sud. Au retour, elle s'attarde pour explorer un nouvel itinéraire plus à l'ouest. Elle réalise une étude détaillée de la région entre le Niger et Ouallen avec photos et films, ce qui l'oblige à ne rouler que de jour.

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Arrivée à Gao

Déjà très éprouvés par le voyage aller, les voitures et les hommes sont épuisés. Ils aimeraient reprendre le train à Colomb Béchar, mais à leur arrivée, ils apprennent que les Citroën, revenues triomphantes bien avant eux, ont propagé des bruits malveillants sur les Renault, et que le quai de Javel a engrangé beaucoup de commandes. Des mécaniciens viennent remettre les six-roues en parfait état. Elles reprennent la route toutes fringantes et rejoignent Alger triomphantes.

C'est une publicité formidable pour les agents Renault, très nombreux en Afrique du Nord. Celui d'Alger, M. de Lalaurencie, se plaint auprès de Louis Renault qu'il a un quota de 600 voitures de tourisme pour l'année et qu'il lui en faudrait beaucoup plus. Les six-roues ont gagné leur galon de véhicule idéal pour le désert et M. de Lalaurencie organise beaucoup de déplacements de personnalités de toutes sortes à leur bord.

Pendant que les uns ouvrent de nouvelles pistes, d'autres travaillent à créer des voies aériennes.

En 1922, une escadrille équipée, comme celles d'Afrique du Nord, de Breguet-14 à moteur Renault, s'installe à Dakar. Les militaires aménagent des hangars et des bâtiments nécessaires à leur activité, ainsi que des terrains d'atterrissage jusqu'à Tombouctou. La Compagnie atlantique de navigation aérienne, lorsqu'elle créera en 1923 sa ligne régulière Dakar-Bamako, utilisera ces installations.

Chaque hiver, une escadrille d'Algérie, sous le commandement du lieutenant Paolacci, travaille sans relâche à l'élaboration d'une liaison permanente aérienne entre l'Afrique du Nord et le Niger, poussant chaque année un peu plus loin l'infrastructure de la voie de pénétration : pistes, postes militaires, terrains d'escale, hangars alvéoles, postes météo, etc. Cette voie part de La Senia, près d'Oran, va en 1922 jusqu'à Béni Abbès, en 1923 jusqu'à Traourit. En 1927 elle sera prête jusqu'à Ouallen.

De son côté, depuis 1924, l'aviation de l'AOF poursuit la création de la ligne de Tessalit au Niger avec des terrains de secours prévus tous les 50 km, ce qui permet de relier l'Afrique du Nord à l'AOF par la voie des airs.

Toute une série de vols sont effectués avec 8 Breguet-14 pour reconnaître les régions à l'est de Bamako, d'autres entre la France et l'Afrique du Nord, pour prouver qu'un avion de série, sans aménagement spécial, peut effectuer cette liaison.

En 1925, Lemaître et Arrachart tentent un Paris-Dakar sans escale, soit 4 800 km. Leur Breguet-19, équipé d'un nouveau moteur Renault de 480 ch, dispose de cinq réservoirs dans le fuselage. Partis avec 2 000 litres de carburant, ils doivent se poser à Villa Cisneros, victimes d'une panne d'essence, ratant ainsi le record de distance en ligne droite détenu par des Américains depuis 1923. Mais la performance réalisée, Paris-Dakar en 31 heures de vol, est très belle.

Renault sort en 1925 une voiture conventionnelle pour circuler sur les pistes d'Afrique, le type KZ colonial. Le châssis KZ normal est surélevé pour recevoir la carrosserie torpédo classique ou des carrosseries à caractère utilitaire. Les enseignements tirés de l'exploitation des six-roues portent leurs fruits.

Poursuivant son idée de "grand-axe", Gaston Gradis organise une nouvelle mission ayant pour but de poser les premières bases de communication entre la Méditerranée et le Golfe de Guinée. Il envisage la coordination du chemin de fer, de l'avion et de la route, pour traverser en toute sécurité l'axe vertical de l'empire colonial français. Il faut aussi assurer la liaison entre les chemins de fer algérien et dahoméen. Novembre est la meilleure date car c'est la saison sèche et relativement fraîche.

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Départ des 4 voitures de l'expédition 
Gradis-Franchet d'Esperey

Le maréchal Franchet d'Esperey est la figure de proue de ce raid. Trois six-roues sont prévues avec leurs chauffeurs et bien sûr les deux frères Estienne sont du voyage. Le 15 novembre 1924, une quatrième six-roues est au départ, c'est celle du capitaine Delingette et de sa femme, dont nous reparlerons, et qui n'ont pas été autorisés à traverser seuls le Sahara comme ils le souhaitaient.

Rocailles coupantes, trous et bosses appelées "choux du désert", enlisement dans une poche de sable pleine d'eau où une voiture commence à disparaître, vent de sable qui crible les véhicules, nuits dans le désert, un creux dans le sable servant de couchette, pistes perdues, chaleur suffocante, c'est le quotidien des expéditions.

Au puits d'Ouallen, le caïd Ouerni agel Mnir est venu saluer le maréchal et lui offrir le mouton gras pour "la diffa", le repas de fête pour recevoir les hôtes de marque. 

Pour rendre hommage au maréchal bien sûr, mais aussi à titre d'essai de collaboration entre l'avion et l'automobile, l'escadrille de Colomb Béchar, équipée de Breguet-14 à moteur Renault 300 ch, atterrit à Ouallen pour la première fois, sur ce site repéré par Georges Estienne un an auparavant.

La traversée du Tanezrouft se fait dans un silence oppressant. C'est une longue étape pour laquelle des bidons d'essence ont été déposés tous les cent kilomètres par les missions de reconnaissance.

Il n'y a aucune forme de vie. On y voit des squelettes d'animaux ou de membres de caravanes morts de soif. Il faut faire face aux crevaisons, à un pont arrière à refaire, aux ensablements, aux chaos de pierres.

Dans la savane, les aiguilles des épineux ravagent les pneus, mais la vie revient en s'approchant du fleuve Niger, la brousse s'épaissit. Les autos, en broyant la végétation, aspergent les passagers de cram-cram, des épines qui pénètrent partout et rongent la peau. Gazelles, chacals du Soudan et pintades font les frais des repas.

Enfin l'air s'humidifie, le Niger est atteint à Bourem. Ce que la Croisière Noire de Citroën a parcouru en 23 jours, les six-roues l'ont fait en 10 jours. 

Les Delingette prennent leur indépendance à Gao, alors que la mission continue vers Niamey, et le Dahomey, le maréchal étant fêté tout au long du trajet. Ayant évité de peu un feu de brousse, elle parvient à Savé, réalisant ainsi la première liaison des chemins de fer algérien et dahoméen ; elle a suivi le "grand-axe" et parcouru avec les Renault 3 600 km. 

Georges et René Estienne regagnent Colomb Béchar en voiture, au cours d'un raid retentissant de 149 heures. La six-roues détient tous les records de vitesse et de distance en Afrique.

Les Delingette tentent d'en établir un autre en traversant ce continent d'Oran au Cap.

Pendant que se déroule la Croisière Noire (dont vous avez tous entendu parler), voulue par Citroën pour faire de la publicité, un simple capitaine de l'armée française, sorti du rang grâce à ses dons de cartographe, le capitaine Delingette, traverse l'Afrique avec son intrépide épouse.

André Citroën a investi de grosses sommes d'argent, Louis Renault a seulement fourni une six-roues et financé le carburant. Il autorise le chauffeur Bonnaure, après avoir terminé la mission Gradis-Franchet d'Esperey, à partir avec les Delingette.

La Croisière Noire, qui a des objectifs ambitieux et variés, dispose d'une infrastructure énorme, des dépôts d'essence et de pièces de rechange jalonnent le parcours. Le capitaine Delingette n'a que ce qu'il peut transporter dans sa voiture mais, bénéficiant d'une mission officielle, il a la possibilité de demander aux administrateurs qu'il rencontre de lui procurer de l'essence. 

Nous n'avons pas le temps de raconter ici les extraordinaires aventures des Delingette. Et pourtant c'est l'expédition qui me tient le plus à coeur, c'est le morceau de bravoure de l'aventure Renault en Afrique. A l'origine c'était d'ailleurs sur cette seule expédition que je voulais écrire un livre. Je dois donc passer sur tous les exploits qu'ils vont réaliser à travers les déserts, les marécages, les vastes inondations, les rivières sans pont et les montagnes à franchir avec des pentes allant jusqu'à 60 %.

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Voiture du capitaine Delingette dans l'eau

Le texte du télégramme envoyé par le capitaine Delingette à Louis Renault le 14 mai 1925 n'en donne qu'une faible idée :

"Depuis Nairobi, sous de fortes pluies, nous avons traversé le Tanganyika et la Rhodésie du Nord après avoir construit, réparé ou aménagé 129 ponts, dont onze se sont écroulés sous la voiture. Celle-ci a été plusieurs fois submergée. C'est la première automobile qui ait atteint Fort-Rosebery, et Elisabethville nous a fait une réception enthousiaste dont le souvenir sera inoubliable pour nous".

Et lorsqu'ils arriveront au Cap, Brull, membre de la Croisière Noire, qui est sur leurs traces avec deux autochenilles, s'exclamera, plein d'admiration : "Mais comment ont-ils fait ?"

Aucun livre n'a été écrit et quelques articles seulement relatent cet exploit très vite oublié à cause de la médiatisation à outrance de la Croisière Noire.

En 1926, la Compagnie Générale Transsaharienne, créée par Gradis trois ans plus tôt, commence, sous la direction de Georges Estienne, l'exploitation commerciale de la piste qu'elle a balisée pour la traversée du Sahara, en utilisant un véhicule spécialement conçu pour cela par Renault.

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OX à six roues

L'OX à six roues dérive du système de la six-roues 10 CV. Pour assurer la sécurité des voyageurs, les protéger des bandes de pillards attirés par leurs bagages et leur argent, la voiture est munie d'une mitrailleuse installée sur le toit, à laquelle on peut accéder par l'intérieur du véhicule.

Tout est prévu pour le confort des passagers, fauteuils pullmans transformables en couchettes, tablette repliable, deux petits compartiments pour la partie toilette et de grands réservoirs à eau dont le filtre permet de toujours disposer d'eau potable.

Avec ces véhicules, les explorations se poursuivent. Depuis des années on envisage la construction d'une ligne de chemin de fer à travers le Sahara et, pour en trouver le meilleur tracé, le gouverneur général de l'Algérie, Maurice Violette, contacte les Chambres de commerce des trois départements algériens qui vont tester chacune un itinéraire.

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Car de la Compagnie Générale Transsaharienne

Trois groupes partent donc d'Oran, d'Alger et de Constantine et doivent se rejoindre à Bourem sur le Niger. 
Celui d'Alger a des véhicules Berliet à six roues, celui de Constantine des Renault six-roues 10 CV, et le groupe d'Oran est conduit par René Estienne dans le nouveau six-roues OX 20 CV. 
Le succès de cette équipe, qui accomplit son parcours en 5 jours, alors que les autres en mettent 15, confirme la qualité du tracé de la route Gradis et celle du véhicule le mieux adapté.

A la fin de l'année 1927, la Compagnie générale transsaharienne assure un service mensuel régulier entre Colomb Béchar et Gao en cinq jours. 

En janvier 1927, Georges Estienne effectue seul un raid fort audacieux, dont le but est l'étude d'une liaison entre les chemins de fer. Avec une 6 CV Renault à quatre roues, la voiture de tout le monde, il va de Paris au Tchad, passe par Kano où aboutit le chemin de fer de la Nigeria anglaise, puis parcourt le Dahomey, la Haute-Volta et le Soudan, et à Bamako il rejoint le terminus de la voie ferrée du Sénégal.

Il étudie aussi les pistes et les routes que pourraient emprunter sans difficultés les gros sleepings de la Compagnie générale transsaharienne. Il parcourt ainsi 18 000 km de désert et de brousse en 36 jours et sa 6 CV Renault ne connaît pas de défaillances. Certains appellent ce raid "le premier Dakar".

Après ce long passage sur le plancher des vaches ...ou plutôt celui des gazelles, il est temps de reprendre la voie des airs. Le service de la ligne aérienne amorcé par Gradis entre Alger, le Niger et Dakar est transféré à la Compagnie transafricaine d'aviation de Jean Dagnaux. 

Quant à la Compagnie Latécoère, comme elle manque d'argent pour renouveler son matériel, en 1927 son propriétaire vend 93 % des actions à M. Bouilloux-Lafont qui donne à la société le nom d'Aéropostale. Cet apport de capitaux permet l'achat de Latécoère 25 et 26 à moteur Renault de 450 ch.

Leur capacité est deux fois plus importante que celle des Breguet-14, et, avec eux, on fait franchir au courrier et à quelques passagers installés dans une cabine fermée, plus de 1 000 km sans escale.

Le 10 octobre 1927, Mermoz et Négrin réalisent, sur un de ces Latécoère 26, le parcours de Toulouse à St Louis du Sénégal sans escale. Partis en même temps que Costes et Le Brix, qui sont aux commandes d'un Breguet à moteur Hispano, et qui débutent un tour du monde par ce même trajet, il arrivent 1 h 35 avant eux.

Ces Latécoère, qui peuvent voler de nuit en toute sécurité, permettent la liaison jusqu'au Sénégal, quelle que soit la saison. Leur moteur Renault 450 ch est conçu pour des vols commerciaux permettant une vitesse de croisière d'environ 200 km/h.

Il est encore trop tôt pour que le courrier puisse franchir l'Océan Atlantique par voie aérienne et il est donc confié à de rapides avisos à vapeur pour cette traversée. La ligne commerciale sur la côte de l'Amérique du Sud, reconnue avec des Breguet-14 à moteur Renault, est ouverte le 14 novembre 1927 par le capitaine Roig et les pilotes Vachet et Homm sur 3 de ces appareils. 
La Cordillère des Andes sera bientôt vaincue par un Laté 25.

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Affiche Aéropostale (Collection Musée de l'Air et de l'Espace-Le Bourget) et Laté 28 devant les bâtiments

En 1931, l'Aéropostale utilisera dans sa flotte quelques Laté 28 à moteur Renault 500 ch, équipés de TSF en liaison permanente avec les différents relais. Bientôt les problèmes financiers et le développement de l'aviation changeront la donne, mais il reste dans notre mémoire le mythe de ces nombreux pionniers de l'Aéropostale morts presque tous en service.

D'autres compagnies se consacrent à l'Afrique. Dagnaux cherche à établir la liaison entre Paris et Madagascar. Différentes missions ont repéré les étapes possibles de la ligne entre Bangui et Fort-Lamy, et la Croisière Noire a trouvé un parcours envisageable au-delà. 

Lors de son raid du 28 novembre 1926 au 21 janvier 1927, Dagnaux connaît bien des avatars. Après Niamey, il s'égare. A Zinder, des nuages de sable très épais l'empêchent de trouver le terrain d'atterrissage. A Bangui, le terrain est trop court et bordé d'arbres, l'atterrissage est acrobatique et le redécollage nécessite l'abattage d'une importante zone d'arbres. A Luebo, il est bloqué par les pluies qui ont transformé les terrains en vastes marécages.

Le terrain de Broken Hill, en Rhodésie, est minuscule et entouré d'arbres ; il en accroche un et il doit réparer. Il ne peut redécoller avec toute la charge d'essence et doit se délester, ce qui l'oblige à prévoir une étape de plus. Après Tête et Quelimane, il reste à traverser les 650 km de la mer du Mozambique avec un avion dont le moteur a déjà parcouru plus de 11 000 km, mais Dagnaux a confiance en son Renault et il atteint Madagascar, son but.

Au retour, à la suite d'un atterrissage fortuit sur un banc de sable du Zambèze, son moteur est très endommagé et il doit abandonner son avion. Après un difficile parcours dans la brousse jusqu'à Tête, il gagne la côte à bord d'un hydroglisseur (à moteur Renault) et revient en France en paquebot. Il crée quelques mois plus tard la société Air-Afrique pour l'exploitation de la ligne Paris-Madagascar.

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Pub Raid Paris-Madagascar et Automotrice KF


Renault est présent dans tous les moyens de transports : 
- les chemins de fer comme avec cette automotrice KF qui parcourt la montagne tunisienne ;

- les tracteurs à roues et à chenilles pour usages agricoles et forestiers;

- les moteurs d'aviation 12 cylindres de 500 ch pour hydroglisseurs destinés aux transports rapides sur le Congo;

- le matériel d'incendie;

- les camions utilisés pour de gros travaux dans le désert, comme ici pour une installation de poste d'essence;

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- les cars qui sillonnent les routes d'Afrique du Nord et d'Afrique Noire.

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Sans compter naturellement toute la gamme de voitures de toutes catégories, même les plus belles comme cette somptueuse Reinastella véhiculant le Président de la République, Monsieur Doumergue, et son Ministre des Colonies, M. Maginot.

Il vend aussi des groupes électrogènes pour des chalutiers et des groupes marins pour la marine de guerre française. 

En 1929, la Société des transports industriels et commerciaux prend le contrôle de la Compagnie Générale Transsaharienne et de la Société des voyages et hôtels nord-africains, toutes les deux n'utilisent que des véhicules Renault.

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Pub de la Compagnie générale Transsaharienne avec Bidon V


La Compagnie Générale Transsharienne, outre son circuit touristique mensuel de Colomb Béchar à Gao, ravitaille les forts militaires, transporte du courrier, véhicule des hommes chargés de missions, notamment ceux qui étudient la réalisation possible du chemin de fer. Roulant la nuit aussi bien que le jour, les chauffeurs sont accompagnés d'indigènes qui, juchés sur le toit du véhicule, tracent la piste en se situant par rapport aux étoiles.

En revanche, pour des raisons qu'explique Georges Estienne, elle n'obtient pas la clientèle qu'elle souhaitait, celle des fonctionnaires en poste qui reviennent en métropole et voyageraient beaucoup plus rapidement qu'en bateau. En effet leur congé ne court que du jour de l'arrivée dans la métropole et il se termine le jour de leur départ de la France. 

Le temps du voyage n'est pas imputé à leur crédit de jours de congé et pendant la durée du trajet ils bénéficient d'indemnités de frais de déplacement. Ils ne sont donc nullement pressés !

En Angleterre, au contraire, le fonctionnaire est libre de ses moyens de transport et touche une indemnité forfaitaire, mais il ne dispose que d'un temps bien déterminé pour son congé, trajets compris. Il serait donc intéressant de prolonger la ligne jusqu'à Kano pour avoir la clientèle des anglais en poste au Nigeria. Ce qui sera fait, et même au-delà jusqu'au Tchad.

Nous ne pouvons nous attarder sur les nombreuses expéditions africaines en six-roues, même pas sur l'expédition Le Blanc (avec une femme à bord), qui parcourt, pendant l'hiver 1928-1929, 5 000 km de l'Egypte à l'Ethiopie, dans une nature particulièrement hostile, avec sables mouvants, nombreuses rivières aux pentes abruptes, montagnes à escalader, équipage fait prisonnier, impossibilité d'avoir du carburant, etc.

Ni même sur celle des deux journalistes qui, accompagnés de Georges Estienne, ont bien failli perdre la vie, victimes de la nature hostile et des brigands, en se rendant à la mine de sel de Taoudenni en 1932. Elle est si loin de tout, qu'une fois par an seulement, "l'azalaï", une caravane partie de Tombouctou, la ravitaille et ramène le sel.

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Raid à la mine de sel de Taoudenni

Ce village sortira de son isolement en 1935, avec la création d'un terrain d'atterrissage où pourront se poser des avions venus de Tombouctou ou du Maroc, par des voies aériennes que les militaires viendront d'ouvrir.

Renault est également présent, et avec succès, dans des épreuves de sport automobile.
Il participe bien sûr au rallye du centenaire de l'Algérie en 1930, réservé aux voitures de tourisme, et arrive en tête avec ses Vivastella que l'on voit ici dans les gorges d'Arak. 
Mais pour un détail pointilleux du règlement, elles sont déclassées au profit des Cottin-Desgouttes.

Renault répond présent en 1932 à la Mission des sables, appelée aussi "liaisons commerciales transsahariennes", ou "concours des véhicules à huile lourde", chargée de tester la possibilité de traverser le Sahara avec des camions Diesel. A la suite de cette expérience concluante, le projet de chemin de fer est définitivement abandonné.

L'aviation de tourisme prend son essor en Afrique aux environs des années 1930. Dès 1925, les premiers avions privés apparaissent et leur production se développe très rapidement. Désormais les pilotes ne sont plus nécessairement des anciens de la guerre, mais souvent des hommes d'affaires. Les aéro-clubs les forment et sont même chargés d'entraîner les pilotes de réserve de l'armée.

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Avion de tourisme

Des étapes sont aménagées, comme ici à Bidon V. On peut y dormir, et s'y ravitailler en eau et en essence. 

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Avion à Bidon V

Renault, qui a consacré une large part de son activité aux moteurs de la grosse aviation, s'intéresse maintenant aux appareils de tourisme, et notamment à ce nouveau marché africain.

Plusieurs avions à moteur Renault 100 ch sont présentés au Salon 1930. 

Dès son apparition, ce moteur, qui ressemble à celui d'une automobile, et permet de voler à une vitesse de croisière de 120/130 km/h, est adopté par la majeure partie des constructeurs d'avions de tourisme, Potez, Caudron, Farman, Dewoitine, etc. Mermoz acquiert un Potez 36 qui en est équipé. 

Pendant plusieurs mois, Lefèvre et Desmazières réalisent de nombreuses démonstrations à travers l'Afrique avec 2 Potez 36, affirmant à leur retour qu'avec un moteur Renault on peut traverser l'Afrique "avec une simple clef dans sa poche".

On pourrait encore citer d'autres raids réalisés avec le Renault 100 ch, comme celui de Lalouette et Permangle qui, sur un Farman 231, obtiennent le record du monde de distance en ligne droite pour un avion léger, en franchissant d'un seule traite, et en partie de nuit, les 2 921 km d'Istres à Villa Cisneros. 

En janvier 1932, le capitaine Arrachart et son mécanicien Puillet vont de Paris à Madagascar, à bord d'un Farman-190, muni d'un nouveau moteur Renault 250 ch, pour étudier la qualité des aérodromes et les services qui y sont rendus, sur les deux grandes voies aériennes reliant la France à sa lointaine colonie.

La première suit la route Gradis et son prolongement jusqu'au Tchad, puis continue par le Congo belge, la Rhodésie et l'Afrique orientale. Arrachart l'emprunte à l'aller. 
L'autre survole la partie est de l'Afrique, il l'étudiera au retour.

Si les aérodromes français et belges sont performants, il n'en est pas de même de ceux de la voie aérienne anglaise. Certains sont sablonneux ou inondés, d'autres sont en mauvais état ou manquent d'essence, mais le pire est celui du Kenya où il trouve plusieurs centaines d'animaux occupant la piste et n'ayant pas la moindre intention de la quitter... 

La première voie marquant une grande supériorité sur la seconde, c'est celle qu'empruntera Air-Afrique pour la liaison France-Madagascar. Mais bien d'autres reconnaissances seront encore nécessaires avant d'ouvrir la voie au public.

Les escadrilles d'Afrique du Nord, qui ont utilisé jusque là les vieux Breguet-14, arrivent au bout des stocks et voient leur matériel modernisé avec différents modèles. 
Elles seront notamment toutes dotées de Potez 25 avec une grande variété de moteurs, dont ceux de Renault avec qui un gros marché a été passé.

En 1930, une trentaine d'avions militaires a entrepris une reconnaissance de la piste Gradis et, à la suite de cette expédition, la Compagnie Générale transsaharienne a été chargée de la baliser sur les 1 500 km qui séparent Reggan de Gao.

Le colonel Vuillemin teste alors sur cette voie une formule nouvelle de tourisme, avions et voitures, qui se retrouvent à différentes étapes et peuvent s'entraider. Le touriste aérien, pour sa sécurité, a besoin de survoler une piste automobile.

Une ligne régulière de la Compagnie Générale Transsaharienne, aidée par la Compagnie aérienne française, ouvre en mai 1932. Le voyage avion-auto sera le service de première classe, qui alternera tous les 15 jours avec la formule purement automobile, plus lente mais un peu moins chère. En cas de panne de l'avion, la voiture prend le relais, ce qui sera le cas dès le 2e voyage après une panne à Bidon V.

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Pub moteur Renault-Bengali

Nous verrons qu'elle utilisera bientôt des avions d'une marque inconnue jusqu'alors : Caudron-Renault. 

En effet, 1933 a été une année marquante pour l'aviation. De nouvelles dispositions ont été prises par le ministre de l'Air, Pierre Cot.
Pour les militaires d'abord, puisqu'il crée l'Armée de l'Air. Les aviateurs dépendaient jusque là de l'Armée de Terre.

Pour les civils ensuite.
La plupart des compagnies aériennes étant subventionnées et très déficitaires, il décide, pour faire des économies, de regrouper les plus importantes, dont l'Aéropostale, en formant le groupe Air-France. Air-Afrique y échappe. 
Renault n'est plus présent sur ce marché.

Par contre, les pouvoirs publics l'incitent à reprendre le constructeur d'avions Caudron, qui est en situation financière critique. Renault va ainsi devenir avionneur et se spécialiser, avec l'aide de l'ingénieur Riffard, dans les avions légers ultra-rapides conçus autour des moteurs Renault-Bengali. 

Des ailes poussent sur le losange. Dès 1935, il possède une gamme complète. 

Lorsque le balisage de la voie Gradis, Algérie-Niger-Dahomey est terminé, la Compagnie Générale Transsaharienne commande, pour assurer ce parcours, des Caudron Goëland à moteur de 140 ch, pouvant transporter six passagers, mais ceux-ci n'étant pas disponibles on lui envoie à la place ...

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Goëland

... trois Caudron Phalène à moteur Renault Bengali 135 ch pour assurer une liaison deux fois par mois. 
Ceux-ci ne sont pas adaptés aux besoins et le directeur de la Compagnie affirmera, non sans raison, que leur trop faible capacité de transport a entraîné un quasi fiasco de la ligne, ce qui lui a causé un déficit colossal.

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Phalène de la Compagnie générale Transsharienne

Les Goëland sont livrés en 1935 et la ligne dessert alors Abidjan et Bamako. Air-Afrique en emploie pour son itinéraire Tunis-Casablanca.

Le Caudron Phalène a pourtant bien des qualités. Il est très apprécié dans les clubs aéronautiques et se distingue dans des rallyes et des records du monde de vitesse.

Il répond aux besoins des particuliers qui habitent loin des agglomérations, ce qui est le cas de grands fermiers. Il peut avoir des ailes repliables pour faciliter son entrée dans les alvéoles des hangars.

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Ailes repliables

Le Caudron Pélican, à moteur de 140/150 ch, est un avion de tourisme confortable, dont les deux sièges de droite peuvent se transformer en couchette, ce qui lui permet d'être aussi utilisé comme avion sanitaire. 

Pierre Jantet en utilise un pour inaugurer une nouvelle ligne de l'Aéromaritime, du Dahomey au Niger. 

Le Caudron Aiglon est un avion de tourisme sportif, muni d'un moteur Bengali Junior de 100 ch, avec lequel on peut établir des records, comme le feront André Japy, d'Istres à Djibouti, ou Elisabeth Lion, de Paris à Tunis.

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Caudron Aiglon

Le Caudron Simoun est un monoplan quadriplace dont le cockpit est fermé. Avec son moteur six-cylindres de 180 ou 220 ch, il donne de remarquables performances. Sa vitesse de croisière est de 270 km/h, mais il peut monter jusqu'à 300.

Certaines compagnies l'utilisent pour des transports rapides, et les sportifs pour des compétitions. C'est avec cet avion qu'Antoine de Saint-Exupéry fait une vaste tournée de propagande en Afrique du Nord et dans le Bassin méditerranéen, ainsi qu'un voyage de reconnaissance par Tombouctou, Bamako et Dakar. 

Le Caudron Rafale a un moteur de 120 ch ; il se couvre de gloire notamment à la Coupe Deutsh de la Meurthe en 1936. C'est sur un avion de ce type que le commandant Sarton du Jonchay, qui a remplacé Arrachart chez Renault, relie, le 24 août 1934, Paris à Alger en 6 h .

On fabrique aussi chez Caudron-Renault des Luciole équipés d'un moteur bengali de 140 CV, très apprécié dans les aéroclubs comme avion-école, et des Frégate triplaces, dont l'un participe au Rallye Saharien en 1935. Ce n'est pas un avion sportif, mais il est confortable et élégant, et tout de même rapide, ce qui le rend très agréable pour des voyages lointains.

Sur terre, les liaisons Afrique du Nord - Afrique Noire sont considérablement améliorées par l'ouverture d'un itinéraire touristique totalement nouveau, dont le tracé et l'exploitation ont été confiés à Georges Estienne, qui a quitté la Compagnie Générale Transsaharienne pour créer la Société Algérienne des Transports Tropicaux (SATT).

Cette voie va d'Alger à Kano par Tamanrasset dans le Hoggar, Agadès et Zinder. Elle est rapidement prolongée jusqu'à Fort-Lamy et Niamey. Un trajet est prévu dans chaque sens tous les 14 jours.

Le service est assuré par des cars Renault permettant le transport de six personnes confortablement installées, et de 500 kg de bagages, ... et le confort des voyageurs est prévu aux étapes.

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Hostellerie

La SATT modernise très vite son parc avec ces cars pullmans. Georges Estienne se fait même construire par Renault des véhicules mixtes pouvant transporter à la fois du fret et des passagers pour rentabiliser au maximum chaque voyage.

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Car Pullman

Et le parcours est équipé de postes d'essence qui ravitaillent voitures et avions.

Georges Estienne crée pour sa Compagnie SATT un service aérien sur la ligne Alger-Gao, en utilisant un Caudron-Renault Phalène qui chaque semaine transporte le courrier et un ou deux passagers. Et pour pouvoir relier l'Afrique du Nord à Fort-Lamy sans quitter les territoires appartenant à la France, il organise pour ses clients la traversée du lac Tchad en bateau.

Le travail accompli pendant vingt ans a porté ses fruits, et au moment de la déclaration de guerre, les transports dans nos colonies d'Afrique Saharienne se présentent ainsi.

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Avion SATT et Pub de la Compagnie générale Transsharienne

Deux voies principales traversent le Sahara :

Celle de la Compagnie Générale Transsaharienne, la route Gradis, prolongée jusqu'au Tchad. En plus de ses véhicules traditionnels, des camions Renault de 7 tonnes, très modernes, transportent le fret.

Celle de la SATT, plus à l'est, qui passe par le Hoggar. Cette société a même ouvert en plus une voie de 1 500 km, encore plus à l'est, d'El Goléa à Rhat par Ouargla et Flatters.
La Compagnie Générale Transsaharienne et la SATT utilisent à peu près exclusivement des véhicules Renault.

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Pub de la SATT

Dans le domaine des chemins de fer, quelques autorails Renault diesel circulent sur les voies tunisiennes et algériennes et on est en train d'équiper la voie reliant le Sénégal au Niger avec des autorails Renault dont certains sont électriques, qui transporteront des voyageurs pendant des dizaines d'années. 

Quant à l'aviation, Caudron-Renault est le roi dans les aéroclubs, chez les particuliers et sur les petites lignes aériennes.

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Publicité Caudron-Renault

Renault s'est vraiment investi en Afrique dans tous les domaines des transports. Contrairement à un Citroën, par exemple, il l'a fait sans tapage médiatique, mais il a acquis de solides positions.

La guerre donne un coup d'arrêt à ce développement multiforme et, la paix revenue, la disparition de Louis Renault, la guerre froide, la décolonisation, la mondialisation changeront totalement la donne. 

Les évènements qui surviendront alors sortent de notre sujet.

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Affiche Latécoère (Collection Musée de l'Air et de l'Espace-Le Bourget)

 Pour accéder au site du Musée de l'Air et de l'Espace : http://www.mae.org/


Attention : Cette conférence ne doit pas être reproduite sans autorisation de l'auteur