L'aéronautique à Boulogne
Le mardi 12 décembre 2002
par Jacques NOETINGER
Aviateur, pilote de chasse, journaliste de l'aéronautique,
membre de l'Académie de l'Air,
Parmi les ouvrages de Jacques NOETINGER
"French Skies: the role of France in the origin and development of aviation"
"Non à l'oubli!: l'incroyable aventure française dans le ciel".
"De-ci, de-là dans les nuages"
"Rigueur et audace des essais en vol"
Guynemer Imaginez qu’au début des années 1900, Boulogne n’ait été qu’un vaste champ cultivable, alors, plagiant Victor Hugo, j’aurais pu proclamer "Ce siècle avait à peine dix ans quand les premières semences d’une gigantesque plantation allaient germer, porter des fruits d’une nouvelle essence baptisée, industrie aéronautique." Lorsque le professeur Claude Fohlen m’a pressenti pour remplacer, Emmanuel Chadeau, récemment disparu, mon premier réflexe a été la panique ; comment relever l’honneur qui m’était fait, tout en gardant conscience d’avoir à traiter un sujet pour lequel j’avais tout à découvrir, alors qu’Emmanuel Chadeau, historien réputé de l’Aéronautique eut été infiniment plus qualifié pour exposer ce sujet. J’ai accepté, puis je me suis mis à m’informer. La providence est venue à la rescousse en la personne d’Edouard Le Roy, dont les parents, les grands-parents et les arrière-grands-parents sont nés et ont vécu à Boulogne. Ayant été lui-même breveté pilote à l’Aéro Club de Boulogne, il a fait toute sa carrière dans l’aviation comme ingénieur ainsi que pilote militaire. Il était donc logique qu’il ait cherché à en savoir plus sur l’histoire de l’Aéronautique de sa ville. Appartenant aux mêmes associations, ce camarade m’a fourni de bien précieuses informations et je l’en remercie. Nous allons donc nous intéresser aux firmes qui se sont implantées à Boulogne en évoquant le souvenir et les anecdotes illustrant leur évolution, leur impact, leur rôle dans l’essor des techniques. Neuf rues de Boulogne portent les noms de quelques uns de ces pionniers ; tous n’ont pas eu cette chance. Par contre, une heureuse initiative à été prise récemment en plaçant, sur le nouveau pont de Billancourt, une élégante œuvre du sculpteur Sabatier et de l’architecte Badani, une plaque précise qui évoque par une voilure la nef figurant sur les armoiries de Boulogne-Billancourt et la devise d’Issy-les-Moulineaux : "J’ai toujours des ailes". Cette plaque fait référence au passé industriel des deux villes voisines, berceaux de l’Automobile et de l’Aéronautique. En effet, si Boulogne a été un creuset industriel, la pelouse d’Issy-les-Moulineaux, aujourd’hui héliport, fut le haut lieu des premiers vols, souvent hésitants, des biens faibles aéroplanes de l’époque. C’est sur ce terrain qu’eut lieu le 13 janvier 1908, le premier kilomètre en circuit fermé réalisé par Henri Farman sur un avion Voisin. Le premier kilomètre Cet exploit fut homologué comme étant le premier record international officiel. Faut-il rappeler que les pionniers de l’aviation ont été les artisans de cette industrie nouvelle dont le destin fabuleux et le développement ont, en quelques décennies, révolutionné les transports, les échanges internationaux, la stratégie militaire, en un mot tout le contexte de la vie contemporaine. La première chambre professionnelle de l’industrie aéronautique créée dans le monde le fut en France en 1908. L’Union Syndicale des Industries Aéronautiques, aujourd’hui USIA, regroupe l’ensemble des industries françaises travaillant pour l’Aéronautique et le Spatial. On y avait exposé l’avion Voisin, détenteur du record du premier kilomètre, mais aussi l’avion d’Ader et celui des frères Wright, ainsi que quelques moteurs, des ballons, des nacelles, tout un éventail de composants créés par les artisans de l’Aéronautique naissante. Qui donc avait eu l’idée et lancé une telle initiative ? C’était un jeune ingénieur de Centrale, âgé de vingt sept ans, Robert Esnault-Pelterie, qui avait installé ses bureaux à Boulogne. Une rue bien discrète porte aujourd’hui son nom. Ce visionnaire avait réussi à concrétiser ses idées audacieuses avec le concours de l’architecte André Granet, gendre de Gustave Eiffel, qui décora les salons de l’Aéronautique de Paris pendant de nombreuses années. Robert Esnault-Pelterie est un authentique précurseur, qui s’est révélé à Boulogne. À la fois constructeur d’avions et pilote sportif, il fut le premier des sept présidents qui se sont succédés à la tête de l’U.S.I.A. Les Frères Voisin Gabriel, Belleville-sur-Saône, 1880, Ozenay, 1973, et Charles, 1882, mort dans un accident d’automobile en 1912. Les deux frères réalisent un premier cerf-volant à Belleville-sur-Saône en 1897, puis, devenus constructeurs d’avions, ils s’associent à Louis Blériot en 1904. C’est à Boulogne, rue de la Ferme, que Gabriel construisit son premier planeur en 1905. Ce planeur biplan, remorqué par un bateau à moteur sur la Seine, entre Boulogne et Issy, termina sa course au bout de quelques centaines de mètres, le nez dans l’eau. Joseph Frantz Joseph Frantz était un personnage hors du commun, qui suscitait la sympathie. Il fut pilote d’essais chez Voisin après la guerre. Bien qu’il ait pas poursuivi sa carrière dans l’aviation, il fut l’un des créateurs de l’association des « Vieilles Tiges » en 1922. Joseph Frantz pilota son avion personnel jusqu’à l’âge de 82 ans.
Les frères Farman, Maurice (1877-1964) et Henri (1886-1968) Les ateliers Farman Frères furent créés à Boulogne, 149 rue de Silly, en 1909. Un autre atelier fut ouvert rue de la Ferme, de 1914 à 1918, qui couvrait près de 90000 m2. Ils employaient 7000 ouvriers et ouvrières qui produisaient 11 avions par jour. La société Farman a été absorbée en 1936 par la Société Nationale du Centre, mais Farman a conservé un bureau d’études, ce qui lui a permis en 1940 de réaliser un exploit en dirigeant un équipage sur un avion Farman, un quadrimoteur, baptisé « Jules Vernes », sur Berlin, capitale du Reich, et d’y larguer une tonne de bombes. Le raid a duré seize heures sans ravitaillement et à une altitude de 7000 mètres. L’équipage avait eu pour consigne de ne pas bombarder la ville elle-même mais les environs. Louis Renault (1877-1944) est connu à Boulogne pour la création des usines d’automobiles Renault en 1898, implantées au 15, rue Gustave Sondov, puis, en 1907, rue des Peupliers. C’est là qu’il construisit le premier moteur à refroidissement à air pour l’aviation. En 1910, ce moteur, d’une puissance de 40 CV, est monté sur un avion Bréguet avec succès. En 1918, Renault sort 600 moteurs de ce type d’une puissance de 450 CV. Pour la production de moteurs d’avion, Renault s’est associé à Caudron, en 1932. Le principal artisan de cette association, qui se poursuivit jusqu’en 1942, est Marcel Riffard, un ingénieur en aérodynamique de grande classe. C’est lui qui a dessiné les petits avions de course et d’acrobatie qui participèrent régulièrement aux meetings et à la Coupe Deutsch de la Meurthe. Didier Daurat et l'Aéropostale Didier Daurat, né en 1891, ancien patron de l’Aéropostale et patron d’Air Bleu, avait attribué les avions à chacun des pilotes. Les avions avaient une immatriculation commençant par FARL. Le sixième avion portait donc le matricule FARQ, ce qui sonnait mal aux oreilles. Aussi Didier Daurat demanda-t-il à Georges Libert si cela le gênait. Celui-ci lui répondit qu’il relevait le défi, mais ne voulait pas avoir l’air de ça. La postale de nuit, fut créée en 1939, le 10 mai, avec des appareils de type Goëland bimoteur, toujours de chez Renault, et le premier pilote fut Georges Libert. Celui-ci devait s’éteindre à l’âge de 90 ans. Louis Renault, président de l’U.S.I.A. en 1940, sortait de ses usines 100 avions et 300 moteurs par mois. Marcel Henriot, autre constructeur, moins connu, est mort aussi très âgé, 92 ans en 1986. Jacques Kelner, ingénieur, dont le père fabriquait des voitures de luxe à Paris, installa ses ateliers, pour l’aviation, rue du vieux Pont de Sèvres. En 1915, il sort un premier avion, et par la suite en produira 46 types différents avant de s’arrêter en 1937. Cet avion avait été dessiné par l’ingénieur Béchereau, que Georges Guynemer allait visiter lors de ses passages à Paris pour discuter des aménagements les plus performants, les plus pratiques, par exemple, la position de la mitrailleuse des accessoires et instruments de contrôle etc…Ces rapports entre ingénieur et pilote étaient exceptionnels et furent des plus fructueux. Marcel Dassault installa une usine à Boulogne, mais aussi à Bordeaux d’où est sorti le premier avion Dassault d’après-guerre en 1950, un bimoteur, étudié en 1945, à Boulogne, rue du vieux Pont de Sèvres et rue Danjou. Cette usine fabriquait des hélices en bois dès 1914. Dans les années 1950 à 1970, cette usine se consacra à la fabrication des ailes d’avions de préséries, de 8 à 10 avions pour couvrir tous les essais en affectant chaque appareil à des essais spécifiques, ce qui représentait un gain de temps avant d’engager la production de série. C’est dans ces conditions qu’ont été construites à Boulogne les ailes du Mystère IV, du Super Mystère, de l’Etandard IV M, pour la marine, le Mirage III et le Rafale. A son arrivée à Bordeaux, Lindbergh, s’est fait tout expliquer par les ingénieurs du bureau d’études de Dassault. Toute la matinée fut consacrée à l’examen minutieux des plans et des pièces du dossier de présentation et à voir le prototype qui n’avait encore jamais pris l’air. En 1965, le prototype du Mystère XX est confié à Jacqueline Auriol. Elle a battu avec lui deux records mondiaux de vitesse sur 2000 Km avec une moyenne de 859 Km/heure, dont l’un fut obtenu le jour de l’ouverture du salon du Bourget. Elle était triomphante bien qu’elle ait déjà battu cinq fois des records du monde de vitesse sur avion à réaction, le dernier étant le record féminin de vitesse sur avion à réaction sur 100 Km à une vitesse de 2030 Km/heure. L’idée me vint de profiter de l’occasion pour lui offrir un petit cadeau souvenir. Quelque temps auparavant, j’avais reçu de la part d’un prêtre de notre paroisse une épingle de cravate qui avait été donnée à cet ecclésiastique par un pasteur ; cette épingle représentait un petit moteur d’avion, du volume du petit ongle, sculpté dans du métal avec une grande précision et comportant une petite hélice en bois qui faisait au plus deux centimètres de diamètre. Je lui ai donc offert cette épingle qu’il reçut avec plaisir. Le général de Bénouville, qui était l’un des proches conseillers de Marcel Dassault, m’a dit « vous lui avez fait là un cadeau qui l’a touché au cœur » La firme Gnome et Rhône, installe une première usine de moteurs, en 1910, à Boulogne, rue de Silly et rue de Billancourt. Cette usine a pris des proportions énormes par la suite, puis a été détruite récemment pour faire place à un nouvel ensemble immobilier.
La Société Salmson, dirigée par Jean Heinrich, disparu en 1952 à l’âge de 56 ans, avait été créée en 1901 pour la fabrication d’automobiles et de moteurs. La première usine de ce nom était située à Paris, rue La Fayette. La société Turboméca est l’œuvre de Joseph Szydlowski, un ingénieur d’origine polonaise naturalisé Français. En 1938, il avait ouvert un petit atelier au 105, rue du Point du Jour et déposé un brevet pour la construction de compresseurs destinés aux moteurs Hispano-Suiza, qui équipaient les avions Dewoitine 520. Cet appareil fut l’un des meilleurs avions de chasse français de la seconde guerre mondiale. Par la suite l’une de ses usines sera implantée à Bordes, dans les Pyrénées-Atlantiques, non loin d’Aire sur Adour où se trouvait la Société Fouga, dirigée par Pierre Mauboussin, l’un des fils du joaillier Mauboussin, place Vendôme à Paris. J'ai eu l’honneur de donner son nom à la Patrouille de France en 1953. Elle m’est restée chère au cœur. Le Fouga "Magister" fut un grand succès, et à partir de ce moteur, Turboméca a construit des turbines pour hélicoptères. Le premier hélicoptère à turbine construit dans le monde en série fut l’Alouette II qui depuis a de nombreux successeurs, Alouette III, Puma etc… Le chef pilote de cette section de l’Aérospatiale était Jean Boulet, un polytechnicien qui a ramené en France pas moins de 17 records du monde pour hélicoptères. Les Français ont fait des ravages dans cette discipline en lançant la formule de l’hélicoptère à turbine, comme on a lancé aussi la mode du positionnement des réacteurs de la Caravelle le long du fuselage. Cette disposition a été copiée par les constructeurs du monde entier. La France a été à l’origine d’un grand nombre d’innovations dans le domaine de l’aéronautique. La Société Turboméca est, par la suite, devenue européenne par association avec les constructeurs Allemands. La Société Eurocopter, occupe la première place mondiale pour la production d’hélicoptères. Il convient d’ajouter à ces industries les ateliers qui fabriquent d’autres équipements pour l’aéronautique, et qui travaillent en sous-traitance. La SAM, à Boulogne, fondée en 1923, rue Jules Brégère, sous l’impulsion de Robert Esnault-Pelterie. Faure-Herman, à Boulogne, 68, rue de l’Est, fondée en 1925, et fabricant des instruments de mesure pour la consommation et pour tout types de moteurs. L.M.T. quai Le Gallo, fondée en 1930, fabrique des radios de navigation, des radars de bord et de surveillance, des simulateurs de vol. 35% de son activité concerne l’aéronautique. Souriau et Cie, 9 et 13, rue Galliéni, fondée en 1917, par Paul Souriau, fabrique des connecteurs de tout types pour automobiles et avions. Merville, 93, rue du Château, fondée en 1950, fabrique de hélices en bois et réalise des réparations de planeurs. INTERTECHNIQUE, rue Escudier, fondée en 1951 et qui est devenue une très grosse affaire avec à sa tête Jacques Maillet, Compagnon de la Libération, commissaire général du salon de l’Aéronautique de 1967 à1973. Société spécialisée dans la fabrication des masques à oxygène, dans le ravitaillement en vol et la télémesure. Société transférée à Plaisir en 1970. Sogitech, une petite usine qui à l’origine était une imprimerie puis s’est lancée dans les simulateurs électroniques et les équipements d’essais et systèmes de documentation ; société transférée à Suresnes en 1981 et dépendant de Dassault Aviation. Matra, société spécialisée dans l’armement, 27, quai de Boulogne. Production d’engins lance-roquettes et engins d’orientation spatiale, aujourd’hui implantée à Vélisy. Racine, 175 bis, avenue Jean-Jaures, produit des mitrailleuses. Enfin il faut parler de trois personnes que les Boulonnais ne peuvent pas oublier. Marcel Doret (1896-1955) remporte le record de distance en circuit fermé le 8 juin 1931 , passant le cap des 10.000Km sans ravitaillement, à bord du Dewoitine, « Trait d’union ». Armand Raimbeau est le premier mécanicien navigant d’essais a avoir volé sur un avion à réaction en France, à bord du SO 6000 "Triton", piloté par Daniel Rastel, le 10 novembre 1946. Ce vol a été réalisé dans des conditions très difficiles. Il faisait mauvais temps, mais il importait que l’avion soit présenté pour montrer et crier au monde entier que des avions à réaction étaient construits en France. Pour réussir cette présentation sous un ciel aussi bas, il fallait un pilote doué comme l’était Daniel Rastel. Le terrain était restait peu visible et le premier passage s’est fait à faible altitude et faible vitesse, entre 250 et 300Km/h. Cependant les journaux ont annoncé le lendemain, que le premier avion à réaction Français avait volé à 900 Km/h….! Il faut préciser que, ne disposant pas de moteurs à réaction, nous avions emprunté un réacteur en Allemagne, réacteur dont la durée de vie pouvait varier entre 30 minutes ou 2 heures, éventuellement jusqu’à 16 heures. La marge était grande, les risques aussi. Par la suite, un réacteur d’origine anglaise a permis d’atteindre les 900 Km/h. En 1939 fut inauguré la "Postale de nuit" en France. Il n’y eut pas moins de 60 usines de guerre, comprenant les firmes aéronautiques, qui à Boulogne, en 1917, employaient 37931 personnes. En dehors de L.M.T. qui fait le lien entre le passé et le présent, toutes ces entreprises ont disparu. Boulogne-Billancourt en a donné la preuve en accueillant les premières pousses d’une belle floraison. Pour agrandir les photos, cliquez dessus Attention : Cette conférence ne doit pas être reproduite sans autorisation de l'auteur Un auditeur signale que, Quelques adresses GIFAS DASSAULT AVIATION INTERTECHNIQUE – B.P. 1, Météo-France
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