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L'aéronautique à Boulogne

Le mardi 12 décembre 2002

par Jacques NOETINGER
Aviateur, pilote de chasse, journaliste de l'aéronautique, 
membre de l'Académie de l'Air, 

Parmi les ouvrages de Jacques NOETINGER

"French Skies: the role of France in the origin and development of aviation"
"Non à l'oubli!: l'incroyable aventure française dans le ciel".
"De-ci, de-là dans les nuages"
"Rigueur et audace des essais en vol"

 

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Guynemer 

Imaginez qu’au début des années 1900, Boulogne n’ait été qu’un vaste champ cultivable, alors, plagiant Victor Hugo, j’aurais pu proclamer "Ce siècle avait à peine dix ans quand les premières semences d’une gigantesque plantation allaient germer, porter des fruits d’une nouvelle essence baptisée, industrie aéronautique."
Une vingtaine de firmes, dont une dizaine, avant 1912, se sont implantées à Boulogne. C’est dire le rôle prépondérant qu’a joué notre ville dans l’histoire de l’aviation, non seulement en France, mais sur le plan international.
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Lorsque le professeur Claude Fohlen m’a pressenti pour remplacer, Emmanuel Chadeau, récemment disparu, mon premier réflexe a été la panique ; comment relever l’honneur qui m’était fait, tout en gardant conscience d’avoir à traiter un sujet pour lequel j’avais tout à découvrir, alors qu’Emmanuel Chadeau, historien réputé de l’Aéronautique eut été infiniment plus qualifié pour exposer ce sujet. J’ai accepté, puis je me suis mis à m’informer. La providence est venue à la rescousse en la personne d’Edouard Le Roy, dont les parents, les grands-parents et les arrière-grands-parents sont nés et ont vécu à Boulogne. Ayant été lui-même breveté pilote à l’Aéro Club de Boulogne, il a fait toute sa carrière dans l’aviation comme ingénieur ainsi que pilote militaire. Il était donc logique qu’il ait cherché à en savoir plus sur l’histoire de l’Aéronautique de sa ville. Appartenant aux mêmes associations, ce camarade m’a fourni de bien précieuses informations et je l’en remercie.

Nous allons donc nous intéresser aux firmes qui se sont implantées à Boulogne en évoquant le souvenir et les anecdotes illustrant leur évolution, leur impact, leur rôle dans l’essor des techniques. 
Ce sera aussi un hommage aux pionniers, à tous ces hommes qui ont entrepris et osé.

Neuf rues de Boulogne portent les noms de quelques uns de ces pionniers ; tous n’ont pas eu cette chance. Par contre, une heureuse initiative à été prise récemment en plaçant, sur le nouveau pont de Billancourt, une élégante œuvre du sculpteur Sabatier et de l’architecte Badani, une plaque précise qui évoque par une voilure la nef figurant sur les armoiries de Boulogne-Billancourt et la devise d’Issy-les-Moulineaux : "J’ai toujours des ailes". Cette plaque fait référence au passé industriel des deux villes voisines, berceaux de l’Automobile et de l’Aéronautique.

En effet, si Boulogne a été un creuset industriel, la pelouse d’Issy-les-Moulineaux, aujourd’hui héliport, fut le haut lieu des premiers vols, souvent hésitants, des biens faibles aéroplanes de l’époque. C’est sur ce terrain qu’eut lieu le 13 janvier 1908, le premier kilomètre en circuit fermé réalisé par Henri Farman sur un avion Voisin.
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Le premier kilomètre

Cet exploit fut homologué comme étant le premier record international officiel. 
Pour la première fois au monde, un vol s’était déroulé avec deux personnes à bord. Nous sommes bien loin encore des performances des actuels Boeing 747, qui emportent 350 passagers.

Faut-il rappeler que les pionniers de l’aviation ont été les artisans de cette industrie nouvelle dont le destin fabuleux et le développement ont, en quelques décennies, révolutionné les transports, les échanges internationaux, la stratégie militaire, en un mot tout le contexte de la vie contemporaine.

La première chambre professionnelle de l’industrie aéronautique créée dans le monde le fut en France en 1908. L’Union Syndicale des Industries Aéronautiques, aujourd’hui USIA, regroupe l’ensemble des industries françaises travaillant pour l’Aéronautique et le Spatial. 
La première initiative de l’USIA a été l’organisation d’une section aéronautique dans le cadre du salon de l’Automobile, au grand Palais, en 1908, l’année de sa fondation.

On y avait exposé l’avion Voisin, détenteur du record du premier kilomètre, mais aussi l’avion d’Ader et celui des frères Wright, ainsi que quelques moteurs, des ballons, des nacelles, tout un éventail de composants créés par les artisans de l’Aéronautique naissante.
En 1909, le Grand Palais, abritait la première exposition internationale de l’Aéronautique et en 1953, à l’occasion du vingtième salon, celui-ci se transportait au Bourget.

Qui donc avait eu l’idée et lancé une telle initiative ? C’était un jeune ingénieur de Centrale, âgé de vingt sept ans, Robert Esnault-Pelterie, qui avait installé ses bureaux à Boulogne. Une rue bien discrète porte aujourd’hui son nom. Ce visionnaire avait réussi à concrétiser ses idées audacieuses avec le concours de l’architecte André Granet, gendre de Gustave Eiffel, qui décora les salons de l’Aéronautique de Paris pendant de nombreuses années.

Robert-Esnault-Pelterie-SmallRobert Esnault-Pelterie est un authentique précurseur, qui s’est révélé à Boulogne. À la fois constructeur d’avions et pilote sportif, il fut le premier des sept présidents qui se sont succédés à la tête de l’U.S.I.A.
Robert Esnault-Pelterie, mort en 1957 à l’âge de 76 ans, a réalisé en 1911 un premier cerf-volant avant d’installer ses ateliers à Boulogne, rue de Silly. Il produisit un premier avion en 1907, dont il fit les essais sur le terrain de Buc. En 1913 il fabrique le premier monoplan entièrement métallique qu’il baptise REP à partir de ses initiales. En 1914, une série de REP équipera deux escadrilles de l’aviation militaire française.
Robert Esnault-Pelterie fut un génial inventeur. 
Il est à l’origine du "manche à balai", regroupant les manœuvres des avions à la main du pilote, il construisit une première fusée stratosphérique expérimentale et il avait même prévu la mise en orbite de satellites artificiels, c’est dire combien il voyait loin. 

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Les Frères Voisin

Gabriel, Belleville-sur-Saône, 1880, Ozenay, 1973, et Charles, 1882, mort dans un accident d’automobile en 1912.

Les deux frères réalisent un premier cerf-volant à Belleville-sur-Saône en 1897, puis, devenus constructeurs d’avions, ils s’associent à Louis Blériot en 1904.
Leur association durera jusque en 1906, puis Blériot traversera la Manche, le 25 juillet 1909, avec un appareil mis au point en collaboration avec les frères Voisin.

C’est à Boulogne, rue de la Ferme, que Gabriel construisit son premier planeur en 1905. Ce planeur biplan, remorqué par un bateau à moteur sur la Seine, entre Boulogne et Issy, termina sa course au bout de quelques centaines de mètres, le nez dans l’eau. 
Gabriel Voisin était un homme de bon sens, d’une honnêteté reconnue, mais avec un caractère bouillant et un style explosif et l’on s’accorde à penser qu’il n’a pas touché un sou des fabrications qu’il fit dans ses ateliers pendant toute la durée de la grande guerre. L’une des récompenses dont il se réjouissait le plus volontiers est la première victoire aérienne au monde, remportée par Joseph Frantz et Louis Quénault le 5 octobre 1914 grâce à l'un de ses appareils.

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Joseph Frantz
 (Avec Louis Quénault sur la photo)

Joseph Frantz était un personnage hors du commun, qui suscitait la sympathie. Il fut pilote d’essais chez Voisin après la guerre. Bien qu’il ait pas poursuivi sa carrière dans l’aviation, il fut l’un des créateurs de l’association des « Vieilles Tiges » en 1922. Joseph Frantz pilota son avion personnel jusqu’à l’âge de 82 ans.

 

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Les frères Farman, Maurice (1877-1964) et Henri (1886-1968)

Les ateliers Farman Frères furent créés à Boulogne, 149 rue de Silly, en 1909. Un autre atelier fut ouvert rue de la Ferme, de 1914 à 1918, qui couvrait près de 90000 m2. Ils employaient 7000 ouvriers et ouvrières qui produisaient 11 avions par jour.

La société Farman a été absorbée en 1936 par la Société Nationale du Centre, mais Farman a conservé un bureau d’études, ce qui lui a permis en 1940 de réaliser un exploit en dirigeant un équipage sur un avion Farman, un quadrimoteur, baptisé « Jules Vernes », sur Berlin, capitale du Reich, et d’y larguer une tonne de bombes. Le raid a duré seize heures sans ravitaillement et à une altitude de 7000 mètres. L’équipage avait eu pour consigne de ne pas bombarder la ville elle-même mais les environs.

louis-Renault-SmallLouis Renault (1877-1944) est connu à Boulogne pour la création des usines d’automobiles Renault en 1898, implantées au 15, rue Gustave Sondov, puis, en 1907, rue des Peupliers. C’est là qu’il construisit le premier moteur à refroidissement à air pour l’aviation. 

En 1910, ce moteur, d’une puissance de 40 CV, est monté sur un avion Bréguet avec succès. En 1918, Renault sort 600 moteurs de ce type d’une puissance de 450 CV.

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Avion Bréguet

Pour la production de moteurs d’avion, Renault s’est associé à Caudron, en 1932. Le principal artisan de cette association, qui se poursuivit jusqu’en 1942, est Marcel Riffard, un ingénieur en aérodynamique de grande classe. C’est lui qui a dessiné les petits avions de course et d’acrobatie qui participèrent régulièrement aux meetings et à la Coupe Deutsch de la Meurthe.
En 1936, Michel Detroyat, pilote d’essais chez Morane s’est vu confié un avion dessiné par Riffard pour participer à une compétition aux U.S.A. le " Thomson Trophy ". 
Cette course mettait en concurrence des avions de toutes catégories équipés de moteurs de toutes puissances. Il s’agissait de tourner autour de trois pylônes à très basse altitude. Michel Detroyat avait amené son avion dans une très grande caisse, et quand les Américains ont vu sortir l’avion bleu de cette caisse, ils se sont mis à rire. C’est lui qui a gagné le trophée, devant des avions disposant de moteurs de 1000 CV. Telle était la qualité du petit appareil dessiné par Riffard et équipé d’un moteur Renault.
Par la suite fut créé la société, "Air Bleu", compagnie qui transportait le courrier en rayonnant depuis Paris, tous les jours, vers les principales villes de France. Il y avait 6 avions d'une exactitude surprenante puisque ils arrivaient, dit-on, à la minute près quelque soit le temps. L’un des plus jeunes pilotes de cette flotte était Georges Libert, l’un des pilotes français qui a eu la plus extraordinaire carrière du vingtième siècle.

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Didier Daurat et l'Aéropostale 

Didier Daurat, né en 1891, ancien patron de l’Aéropostale et patron d’Air Bleu, avait attribué les avions à chacun des pilotes.
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Les avions avaient une immatriculation commençant par FARL. Le sixième avion portait donc le matricule FARQ, ce qui sonnait mal aux oreilles. Aussi Didier Daurat demanda-t-il à Georges Libert si cela le gênait. Celui-ci lui répondit qu’il relevait le défi, mais ne voulait pas avoir l’air de ça.

La postale de nuit, fut créée en 1939, le 10 mai, avec des appareils de type Goëland bimoteur, toujours de chez Renault, et le premier pilote fut Georges Libert. Celui-ci devait s’éteindre à l’âge de 90 ans.

Louis Renault, président de l’U.S.I.A. en 1940, sortait de ses usines 100 avions et 300 moteurs par mois.

Marcel Henriot, autre constructeur, moins connu, est mort aussi très âgé, 92 ans en 1986. 
Ses usines étaient à Boulogne, 84, rue d’Issy-les-Moulineaux. De 1915 à 1918, il se spécialisa dans la production d’avions d’entraînement ou de liaisons. Cette usine occupait, en 1917, 812 personnes et elle fonctionna de 1909 à 1939. La Société Henriot fut à l’origine de 60 types d’appareils différents.

Jacques Kelner, ingénieur, dont le père fabriquait des voitures de luxe à Paris, installa ses ateliers, pour l’aviation, rue du vieux Pont de Sèvres. En 1915, il sort un premier avion, et par la suite en produira 46 types différents avant de s’arrêter en 1937. 
En 1916 il sortit le fameux SPAD, de Guynemer, utilisé aussi par René Fonck et les plus grands héros de la Grande Guerre.

Cet avion avait été dessiné par l’ingénieur Béchereau, que Georges Guynemer allait visiter lors de ses passages à Paris pour discuter des aménagements les plus performants, les plus pratiques, par exemple, la position de la mitrailleuse des accessoires et instruments de contrôle etc…Ces rapports entre ingénieur et pilote étaient exceptionnels et furent des plus fructueux.
En 1918, la production s’élevait à 18 avions par jour avec 600 ouvriers.
Jacques Kelner, fut président de l’U.S.I.A. en 1930 et en 1938, la société a été absorbée par la Société Nationale Aéronautique du Sud-Est.

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Marcel Dassault installa une usine à Boulogne, mais aussi à Bordeaux d’où est sorti le premier avion Dassault d’après-guerre en 1950, un bimoteur, étudié en 1945, à Boulogne, rue du vieux Pont de Sèvres et rue Danjou. Cette usine fabriquait des hélices en bois dès 1914. 
Puis, en 1950, est construit ici le deuxième prototype de l’Ouragan, qui fut le premier chasseur à réaction français, produit en série.

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Ouragan

Dans les années 1950 à 1970, cette usine se consacra à la fabrication des ailes d’avions de préséries, de 8 à 10 avions pour couvrir tous les essais en affectant chaque appareil à des essais spécifiques, ce qui représentait un gain de temps avant d’engager la production de série. C’est dans ces conditions qu’ont été construites à Boulogne les ailes du Mystère IV, du Super Mystère, de l’Etandard IV M, pour la marine, le Mirage III et le Rafale

On y a construit aussi les ailes du Mercure, un bimoteur de transport, utilisé un certain temps par Air Inter, mais la situation des ateliers posait des problèmes pour leur sortie d’usine. Difficultés qui ont amené Marcel Dassault à délocaliser cette production dans ses usines d’Argenteuil, de Saint Cloud, de Poitiers puis de Mérignac.
Marcel Dassault n’a jamais présidé sa propre société, il était président de la Société Lucia. 
Marcel Dassault avait sa façon de raisonner, il parlait peu et de façon tellement simple que ses interlocuteurs en étaient parfois désarmés. Mais il exprimait toujours des idées personnelles. L’essentiel de la production des usines Dassault était centré sur l’aviation militaire, et des commandes d’état. La société Dassault, présidée par Monsieur Vallières, obtenait de bons contrats et avait des rentrées d’argent régulières. 
Dans ces conditions, pour quelle raison aurait-on eu besoin de se positionner sur le marché de l’aviation civile? 
Mais Marcel Dassault, lui, voulait construire un avion civil, un avion à réaction et cela dés l’année 1963. Il voulait un avion d’affaires, rapide et doué d’une bonne autonomie. Les Américains ont rapidement appris que cette étude était lancée à Bordeaux, contre l’avis du président Vallières, mais poussée par la volonté farouche de Marcel Dassault. L’avion ayant été construit, les Américains ont envoyé une mission de la Compagnie PanAm pour l’examiner avec l’espoir de compléter les services de leurs appareils longs courriers par l’utilisation d’appareils rapides mais plus petits, permettant à leurs clients, hommes d’affaires internationaux, de prolonger leurs voyages dans des conditions de rapidité et de confort convenables vers les destinations non desservies par les lignes régulières, ou dont les horaires ne concordaient pas. La PanAm cherchait un élargissement de sa flotte. 

La délégation américaine avait à sa tête, Charles Lindbergh, l’aviateur qui, le premier, avait traversé seul l’Atlantique Nord, d’Amérique en France, soit 5800 Km en 33,30 heures, les 20 et 21 mai 1927, à bord de son monoplan, " Spirit of Saint Louis".

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A son arrivée à Bordeaux, Lindbergh, s’est fait tout expliquer par les ingénieurs du bureau d’études de Dassault. Toute la matinée fut consacrée à l’examen minutieux des plans et des pièces du dossier de présentation et à voir le prototype qui n’avait encore jamais pris l’air. 
Les essais en vol étaient prévus pour la soirée, mais Lindbergh, pressé de s’en retourner par un vol régulier qui partait dans l’après midi, se décida à télégraphier au président de la PanAm dont il était le conseiller personnel, « I got the bird ! », ce qui en un mot veut dire, j’ai trouvé l’oiseau rare. 
Le premier vol inaugural eut bien lieu dans la soirée en l’absence de Lindbergh. Quelque temps après, au mois d’août 1963, le président de Dassault, Mr Valière, était convoqué en Amérique pour signer le contrat, une commande ferme de 40 avions et une option sur 160 appareils, le marché du siècle. 
Aujourd’hui, la Société Dassault, qui a toujours eu un chiffre d’affaires important avec les commandes militaires, se trouve avec un nombre de commandes civiles supérieures.

En 1965, le prototype du Mystère XX est confié à Jacqueline Auriol.

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Elle a battu avec lui deux records mondiaux de vitesse sur 2000 Km avec une moyenne de 859 Km/heure, dont l’un fut obtenu le jour de l’ouverture du salon du Bourget. Elle était triomphante bien qu’elle ait déjà battu cinq fois des records du monde de vitesse sur avion à réaction, le dernier étant le record féminin de vitesse sur avion à réaction sur 100 Km à une vitesse de 2030 Km/heure. 
J’ai connu Jacqueline Auriol pour avoir fait avec elle plusieurs missions à l’étranger et je garde un souvenir ému de cette personne dont la carrière fut marquée par l’énergie et le courage.
Lorsque Marcel Dassault atteignit ses 90 ans en 1982, des réceptions ont été organisées dans ses bureaux du Rond-Point des Champs-Elysées. La presse y fut conviée et je me suis trouvé dans le groupe des journalistes. 

L’idée me vint de profiter de l’occasion pour lui offrir un petit cadeau souvenir. Quelque temps auparavant, j’avais reçu de la part d’un prêtre de notre paroisse une épingle de cravate qui avait été donnée à cet ecclésiastique par un pasteur ; cette épingle représentait un petit moteur d’avion, du volume du petit ongle, sculpté dans du métal avec une grande précision et comportant une petite hélice en bois qui faisait au plus deux centimètres de diamètre. Je lui ai donc offert cette épingle qu’il reçut avec plaisir. Le général de Bénouville, qui était l’un des proches conseillers de Marcel Dassault, m’a dit « vous lui avez fait là un cadeau qui l’a touché au cœur » 
Il faut se souvenir que Marcel Dassault avait commencé son activité dans l’aéronautique par la fabrication d’hélices en bois, les fameuses hélices Eclair qui, entre autres, ont équipées les appareils SPAD de Guynemer.

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La firme Gnome et Rhône, installe une première usine de moteurs, en 1910, à Boulogne, rue de Silly et rue de Billancourt. Cette usine a pris des proportions énormes par la suite, puis a été détruite récemment pour faire place à un nouvel ensemble immobilier. 
Les premiers moteurs Rhône, produits en 1910, furent montés sur les avions Blériot, Type 11 bis dérivés du fameux B 11, celui de la traversée de la Manche.

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En 1945, la fusion des sociétés Gnome et Rhône avec Renault et Lorraine a donné la SNECMA. Cette usine construisit des moteurs pour l’aviation civile comme pour l’armée de l’air. Ils ont équipé les appareils Caravelle puis Airbus, avant de jouer un grand rôle dans la mise au point des moteurs de Concorde.

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La Société Salmson, dirigée par Jean Heinrich, disparu en 1952 à l’âge de 56 ans, avait été créée en 1901 pour la fabrication d’automobiles et de moteurs. La première usine de ce nom était située à Paris, rue La Fayette. 
En 1919, une nouvelle usine fut implantée à Boulogne au 109 bis, rue du Point du Jour. Elle occupait 141 personnes qui produisaient 250 moteurs par mois en 1929, ce qui situait Salmson au 4ème rang des exportateurs de moteurs et matériel aéronautique, tout en continuant à produire des voitures de luxe.
Dans la période qui s’étend de 1917 à 1948, Salmson a produit 14 types d’avions, surtout destinés au tourisme et aux Aéro-clubs et en petites séries.
Jean Heinrich, fut président de l’U.S.I.A. de 1947 à 1948.

La société Turboméca est l’œuvre de Joseph Szydlowski, un ingénieur d’origine polonaise naturalisé Français. En 1938, il avait ouvert un petit atelier au 105, rue du Point du Jour et déposé un brevet pour la construction de compresseurs destinés aux moteurs Hispano-Suiza, qui équipaient les avions Dewoitine 520. Cet appareil fut l’un des meilleurs avions de chasse français de la seconde guerre mondiale.

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Par la suite l’une de ses usines sera implantée à Bordes, dans les Pyrénées-Atlantiques, non loin d’Aire sur Adour où se trouvait la Société Fouga, dirigée par Pierre Mauboussin, l’un des fils du joaillier Mauboussin, place Vendôme à Paris.
Pierre Mauboussin avait travaillé dans la joaillerie de la famille avant de se rendre aux U.S.A. pour y tenir les bureaux et la boutique Mauboussin de New-York. Mais très tôt attiré par l’aviation, il a construit des planeurs en amateur, avant de construire des avions. C’était un jeune ingénieur plein d’idées, qui rencontra Szydlowski, une personne d’un tout autre type.
Ces deux ingénieurs vont s’associer dans l’étude d’un petit réacteur issue du turbo compresseur produit par les ateliers de Szydlowski. Le premier réacteur de ce type a été adapté sur un planeur et disposé au dessus et derrière le pilote, ce fut le Fouga Cyclone.
Quand les Américains ont entendu parler de cet appareil, qui à leurs yeux semblait être une plaisanterie, ils ont insisté pour que celui-ci soit débaptisé. On lui attribua le nom de Sylphe, et il fit son vol inaugural le 14 juillet 1949.
J’ai assisté à cette présentation en compagnie des constructeurs à Aire-sur-Adour, le pilote était Léon Bourrieau. Les essais ont été poussés, Turboméca est parvenu à sortir des réacteurs de plus en plus puissants qui équipèrent le Fouga "Magister", premier avion à réaction d’entraînement construit dans le monde et en série. Plus de 700 appareils sont sortis des usines dont beaucoup ont été exportés.
Cet avion a été celui de la Patrouille de France.

Fouga-Magister-SmallJ'ai eu l’honneur de donner son nom à la Patrouille de France en 1953. Elle m’est restée chère au cœur.

Le Fouga "Magister" fut un grand succès, et à partir de ce moteur, Turboméca a construit des turbines pour hélicoptères. Le premier hélicoptère à turbine construit dans le monde en série fut l’Alouette II qui depuis a de nombreux successeurs, Alouette IIIPuma etc…

Le chef pilote de cette section de l’Aérospatiale était Jean Boulet, un polytechnicien qui a ramené en France pas moins de 17 records du monde pour hélicoptères. Les Français ont fait des ravages dans cette discipline en lançant la formule de l’hélicoptère à turbine, comme on a lancé aussi la mode du positionnement des réacteurs de la Caravelle le long du fuselage. Cette disposition a été copiée par les constructeurs du monde entier. La France a été à l’origine d’un grand nombre d’innovations dans le domaine de l’aéronautique.

La Société Turboméca est, par la suite, devenue européenne par association avec les constructeurs Allemands. La Société Eurocopter, occupe la première place mondiale pour la production d’hélicoptères.

Il convient d’ajouter à ces industries les ateliers qui fabriquent d’autres équipements pour l’aéronautique, et qui travaillent en sous-traitance.

La SAM, à Boulogne, fondée en 1923, rue Jules Brégère, sous l’impulsion de Robert Esnault-Pelterie.

Faure-Herman, à Boulogne, 68, rue de l’Est, fondée en 1925, et fabricant des instruments de mesure pour la consommation et pour tout types de moteurs.

L.M.T. quai Le Gallo, fondée en 1930, fabrique des radios de navigation, des radars de bord et de surveillance, des simulateurs de vol. 35% de son activité concerne l’aéronautique.

Souriau et Cie, 9 et 13, rue Galliéni, fondée en 1917, par Paul Souriau, fabrique des connecteurs de tout types pour automobiles et avions.

Merville, 93, rue du Château, fondée en 1950, fabrique de hélices en bois et réalise des réparations de planeurs.

INTERTECHNIQUE, rue Escudier, fondée en 1951 et qui est devenue une très grosse affaire avec à sa tête Jacques Maillet, Compagnon de la Libération, commissaire général du salon de l’Aéronautique de 1967 à1973. Société spécialisée dans la fabrication des masques à oxygène, dans le ravitaillement en vol et la télémesure. Société transférée à Plaisir en 1970.

Sogitech, une petite usine qui à l’origine était une imprimerie puis s’est lancée dans les simulateurs électroniques et les équipements d’essais et systèmes de documentation ; société transférée à Suresnes en 1981 et dépendant de Dassault Aviation.

Matra, société spécialisée dans l’armement, 27, quai de Boulogne. Production d’engins lance-roquettes et engins d’orientation spatiale, aujourd’hui implantée à Vélisy.

Racine, 175 bis, avenue Jean-Jaures, produit des mitrailleuses.

Enfin il faut parler de trois personnes que les Boulonnais ne peuvent pas oublier.

Marcel Doret (1896-1955) remporte le record de distance en circuit fermé le 8 juin 1931 , passant le cap des 10.000Km sans ravitaillement, à bord du Dewoitine« Trait d’union ».
Pilote d’essais et pilote de chasse pendant la grande guerre, il fut aussi pilote de ligne et pilote de voltige. Il avait une propriété à Vernet près de Toulouse.
Un Hispano-Suiza était son moteur. Il avait une collection de voitures dont une magnifique Hispano-Suiza, et il avait aussi une "deux chevaux" Citroën. Or, j’étais venu chez lui avec ma propre "deux chevaux". Nous avions l’un et l’autre tripoté notre moteur pour en tirer un peu plus de puissance, car les 60 Km/h, en pointe, cela restait un peu faible quand on voulait traverser la France. Nous avons fait le choix d’un itinéraire pour nous affronter au volant de nos machines. C’est lui qui a gagné !
Lorsque Doret faisait des présentations en vol il réalisait des passages en tranche, l’appareil volant sur le coté, alors je m’écriais « Voilà Doret sur tranche ». Marcel Doret habitait Boulogne, 14, rue Nungesser et Coli. Son épouse est morte dans cet appartement. Lui-même repose à Boulogne, dans le nouveau cimetière, depuis 1955.

Armand Raimbeau est le premier mécanicien navigant d’essais a avoir volé sur un avion à réaction en France, à bord du SO 6000 "Triton", piloté par Daniel Rastel, le 10 novembre 1946.
Cet avion avait été conçu dans la clandestinité par Lucien Servanty, l’homme qui a dessiné Concorde.

Ce vol a été réalisé dans des conditions très difficiles. Il faisait mauvais temps, mais il importait que l’avion soit présenté pour montrer et crier au monde entier que des avions à réaction étaient construits en France.

Pour réussir cette présentation sous un ciel aussi bas, il fallait un pilote doué comme l’était Daniel Rastel. Le terrain était restait peu visible et le premier passage s’est fait à faible altitude et faible vitesse, entre 250 et 300Km/h. Cependant les journaux ont annoncé le lendemain, que le premier avion à réaction Français avait volé à 900 Km/h….!
Plusieurs années se sont écoulées avant qu’un avion parvienne à atteindre cette vitesse.

Il faut préciser que, ne disposant pas de moteurs à réaction, nous avions emprunté un réacteur en Allemagne, réacteur dont la durée de vie pouvait varier entre 30 minutes ou 2 heures, éventuellement jusqu’à 16 heures. La marge était grande, les risques aussi. Par la suite, un réacteur d’origine anglaise a permis d’atteindre les 900 Km/h.
Armand Raimbeau fut le premier à franchir le mur du son en France sur "Vautour", avec biréacteur SNCASO. Ce mécanicien est décédé en 1986 à l’âge de 83 ans. Il repose au cimetière de Boulogne.

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En 1939 fut inauguré la "Postale de nuit" en France.
Un avion Goëland allait, de nuit, de Paris à Pau, alors que, dans le sens opposé, volait un autre avion. piloté par Georges Libert, pilote de l'Aéropostale. Il habitait Boulogne, alors qu’il était commandant de bord sur Boeing 707. En 1960 il était nommé chef du personnel naviguant d’Air France.
Président des « Vieilles tiges », il présida aussi l’Aéro Club de Dreux, où il avait son avion personnel qu’il pilota jusqu’en 1985.
CONCLUSION

Il n’y eut pas moins de 60 usines de guerre, comprenant les firmes aéronautiques, qui à Boulogne, en 1917, employaient 37931 personnes. En dehors de L.M.T. qui fait le lien entre le passé et le présent, toutes ces entreprises ont disparu. 
Cependant, en dépit des concentrations qui depuis peu modifient les structures de l’industrie aéronautique européenne, le rôle des firmes Françaises continue à s’affirmer. 
La société AIRBUS industrie en est l’exemple le plus frappant. Le premier AIRBUS a été conçu dans les bureaux de l’Aérospatiale en 1968, avant de devenir un programme européen, comprenant, Allemagne, Grande Bretagne, Espagne etc…
En trente ans la gamme des Airbus a fait l’objet de plus de 4.000 commandes, ce qui n’est pas sans inquiéter Boeing.
Eurocopter doit sa première place mondiale, en grande partie, à Truboméca, aboutissement des travaux de Joseph Szydlowski. Plus de 5.000 appareils, de tous types, ont été commandés.
Les réacteurs civiles et militaires produits par la SNECMA ne sont-ils pas le fruit de l’évolution des techniques développées à l’origine par Gnome et Rhône, à Boulogne?
D’autres exemples pourraient être cités, mettant en évidence que les bonnes initiatives, prises au bon moment, ont, surtout dans le domaine technique, des retombées insoupçonnables.

Boulogne-Billancourt en a donné la preuve en accueillant les premières pousses d’une belle floraison. 
Il ne faut pas l’oublier et il faut en être fier.
DaddySmall1

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Un auditeur signale que,
Tampier, un petit constructeur, installé, à Boulogne, rue de Billancourt, à proximité des Studios de Boulogne, sortit, avant 1939, un curieux appareil, biplace à ailes repliables qui est resté au stade du prototype.

Quelques adresses
Aéro-Club de France
6, rue Galilée, 75782, Paris, Cedex 16
Tel : 01 47 23 72 52
http://www.aeroclub.com

GIFAS
Groupement des industries Françaises Aéronautiques et Spatiales
4, rue Galilée, 75782, Paris, cedex 16
Tel : 01 44 43 17 00
http://www.gifas.asso.fr

DASSAULT AVIATION
http://www.dassault-aviation.com

INTERTECHNIQUE – B.P. 1, 
61, rue Pierre Curie, 78373, Plaisir, Cedex – France
Tél ; 01 30 54 82 00
Fax : 01 30 55 71 61

Météo-France
http://www.meteo.fr