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Le Coran

Conférence donnée le mercredi 17 novembre 2004

par Odon Vallet
Professeur d’Histoire des Religions à la Sorbonne

Dans la plupart des langues comme l’hébreux, l’arabe, le phénicien, ce mot comporte une racine qui veut dire au sens premier "crier", c’est donc de l’oral, crier, et donc nommer, mais aussi, lire à haute voix, et réciter.

C’est pourquoi on dit parfois que le Coran, c’est la récitation. C’est donc quelque chose d’oral, mais aussi d’écrit puisqu’on récite comme une fable de La Fontaine, quelque chose qui a été écrit ; il y a une dimension acoustique dans le Coran, qui est très importante surtout pour ceux et celles qui connaissent l’hébreu ou l’arabe. 

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Le Coran, la Prière, l'Islam


Le Coran, livre sacré des Musulmans (Al-Kitâb)

Il y a des consonnes qui sont des gutturales avec une sonorité extrêmement particulière, il y a aussi une résonance dans la tête, dans la voix, presque dans le ventre, liée aux sonorités du Coran. Tous les Musulmans sont d’accord pour dire que le Coran, récité à haute voix, a pour eux des sonorités particulières, un petit peu d’ailleurs, lorsqu’il est déclamé, psalmodié, comme la Bible lorsqu’elle est elle-même déclamée et psalmodiée. Il y a donc une dimension orale très importante dans le Coran, mais également une dimension écrite puisque ce qu’on proclame, ce qu’on récite, ce qu’on déclame doit l’être à partir d’un texte qui est rigoureusement le même pour tous.

Le Coran est un texte révélé pour les Musulmans, mais n’oublions pas que ce Coran, cette récitation se combine avec les Hadiths, les propos du prophète, ou les propos prêtés au prophète. Là on peut faire un parallèle avec les textes chrétiens, comme le Nouveau Testament, qui est une écriture, mais qui est aussi une parole, la parole de Jésus.

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Hadith

Notre mot français "parole ", vient du grec "parabolé", action de mettre à côté, comparaison. De même on peut faire un parallèle avec la Bible hébraïque et son prolongement, le Talmud, puisqu’il y a la Torah, qui est la loi écrite, mais aussi la Halaka, la loi orale qui, ensuite, sera mise par écrit comme les hadiths du prophète.

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Halaka

Il y a pour les Musulmans une tradition orale que l’on appelle la Sunna, et il y a quelque chose qui est écrit, "Le Livre ", qui se dit en arabe, kitâb, et dérive de ce mot, mektoub, qui veut dire "ce qui est écrit". Et ce qui est écrit, c’est ce qui est prévu. C’est écrit, donc cela va arriver. À la limite, c’est le destin. Donc la vie de l’homme, ce qui lui arrive, est forgé à partir de ce qui est écrit.


La révélation du Coran

Tout d’abord, il faut éviter une erreur. On a dit parfois que le Coran avait été révélé d’un seul coup, ce qui est faux. Le Coran aurait été révélé au cours d’une période d’environ vingt-deux à vingt-trois années, entre l’an 610 et l’an 632 après Jésus-Christ, à la mort du prophète Mohamed, avec des périodes de silence et des périodes de révélation plus intenses. 
Vingt-trois ans, c’est à la fois court et long. C’est court si l’on songe à la Bible, à l’Ancien Testament, dont la révélation s’étend sur de longs siècles. C’est long par rapport à l’Évangile dont la durée de révélation, c'est-à-dire, en réalité, la durée de la vie publique de Jésus, serait d’environ deux à trois ans.

Cette révélation s’est faite en des lieux différents et en des années différentes.

Une première partie de la révélation s’est faite à La Mecque, ville où vivait Mohamed, au milieu des polythéistes. Environ 76% du contenu du Coran aurait été révélé à La Mecque.

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La Mecque

Le reste, 24%, aurait été révélé à Médine après l’Hégire, l’exode du prophète, qui a fui La Mecque parce qu’il était en but au polythéisme pour aller à Médine. 
Ceci est très important parce que les versets, ou "sourates ", de La Mecque, ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de Médine.

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Les sourates

En effet, à La Mecque, le prophète ne se trouvait pas encore dans un climat d’hostilité, de guerre, lié à son exode, à l’Hégire, et aux batailles qu’il livrait. Ce sont donc des sourates qui sont plus joyeuses et plus mystiques aussi, alors que, à Médine, le prophète doit organiser son institution, son état, avec ses compagnons en guerre.
Les sourates sont plus sévères, plus juridiques, plus étatiques et, parfois, plus militaires. 
Par exemple, certains textes de Médine disent non pas le contraire, mais des choses différentes de ce qui est dit à La Mecque. Les sourates les plus dures, celles qui disent qu’il faut combattre sans pitié ses ennemis sont plutôt des sourates de Médine.

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Médine

Le plus curieux est que l’ordre actuel du Coran est le contraire de l’ordre chronologique, c'est-à-dire que les sourates de La Mecque, qui ont été révélées en premier, se trouvent à la fin du Coran, alors que les sourates de Médine, qui sont postérieures, sont au début.

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Mohamed à Médine

Ce début, selon la tradition, c’est ce que l’on appelle "La Nuit du Destin ", vingt-septième jour du Ramadan. On célèbre chaque année la Nuit du Destin, durant laquelle l’ange Gabriel, ce qui signifie le héros de Dieu, serait apparu au prophète. Dieu aurait parlé à Mohamed via Gabriel, qui est le messager de Dieu, comme l’ange Gabriel serait apparu à Marie pour lui annoncer, (l’Annonciation), la naissance de Jésus.

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L'Anonnciation et l'ange Gabriel

Cette révélation, très particulière, est faite de manière illogique, du moins dans ce que l’on en retrouve dans les traces écrites. En effet, cette mise par écrit de la révélation est faite en sourates groupées qui sont de longueurs décroissantes. Au début, nous avons des sourates extrêmement longues avec beaucoup de détails et, plus nous allons vers la fin, plus les sourates sont brèves, avec des phrases minimales qui donnent un climat différent à ce Coran.

Ce caractère bizarre du Coran n’est pas quelque chose d’unique dans les écritures révélées. 
Si on prend les Évangiles, ils ont été constitués à partir de petits fragments mis bout à bout, comme les pièces d’un puzzle, ce qui explique que, très souvent, on trouve également dans les Évangiles des phrases qui se suivent sans logique apparente. 
De la même façon, le fait qu’il existe des contradictions fréquentes dans le Coran peut rappeler certaines contradictions rencontrées dans les Évangiles.

Citons l’une des plus célèbres.

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Sermon de Jésus

Jésus dit : "Qui n’est pas avec moi est contre moi ! ". Plus loin, il dit : "Qui n’est pas contre moi est avec moi ", et ainsi à trois reprises dans les Évangiles. 
Pourquoi ? Parce que cela se réfère à des phases différentes de l’enseignement de Jésus où, de temps en temps, il s’agit de rassembler très large pour obtenir un consensus et , à d’autres moments, de bien marquer la distinction entre le groupe de fidèles et les autres. 
On trouve de nombreuses contradictions apparentes de ce type dans le Coran.

Reste le problème de cette révélation. A-t-elle un caractère unique dans l’histoire des religions ? Certains Musulmans l’ont affirmé en faisant remarquer que le Coran était une révélation alors que, selon eux, la Bible est une inspiration de la parole de Dieu.

En d’autres termes, le Coran serait mot à mot les paroles de Dieu, alors que la Bible ne serait qu’un reflet, une interprétation. 
Ce n’est pas exact si l’on en croit la tradition chrétienne et, en particulier la tradition catholique, selon laquelle la Bible aurait été écrite sous la dictée de l’Esprit Saint.
Telle était la formule des théologiens du Vatican jusqu’au milieu du 20ème siècle.

D’autre part, si on prend le Judaïsme et la Bible Hébraïque, dans le récit de l’exode et des Tables de la Loi, on peut lire : "Dieu dit à Moïse ". Il s’agit donc bien de quelque chose de "dit " et pas seulement 
"d’inspiré ".

On trouve aussi fréquemment cette formule : "La Parole qui est sortie de la bouche de Dieu ". 
Je pense donc que, pour la Bible comme pour le Coran, il y a bien une révélation orale, ultérieurement mise par écrit, venant directement de Dieu si l’on en croit une vision traditionnelle de la foi.

Dans le Coran, on peut lire à la sourate 96, verset 4 : "Dieu a enseigné l’homme par la plume ". Ce qui signifie, selon la tradition musulmane, que l’écrit est aussi sacré que la parole. Cette parole est prononcée en arabe. Dieu parlait arabe pour les Musulmans, et l’hébreu pour les Juifs. Ce n’est pas une grande différence, car l’arabe est une langue sud-sémitique qui offre beaucoup de points de comparaison avec l’hébreu, langue ouest-sémitique.

La transcription

La transcription, c’est la mise par écrit des paroles de Dieu au prophète. 

Comme pour la plupart des textes révélés, il s’agit au départ d’oralité, une révélation de bouche-à-oreille. Mais se pose le problème de la transmission de ces paroles après la mort du prophète et, plus encore, après la mort de ses compagnons. 
Ce même problème s’est également posé après la disparition terrestre de Jésus et après la mort de ses disciples. 
Nous savons que les premiers Évangiles auraient été écrits environ vingt ans après la mort de Jésus. Or, curieusement, la transcription globale, totale, du Coran remonte à une quinzaine ou une vingtaine d’années après la mort du prophète, c'est-à-dire après qu’une génération se soit passée.

Á propos de ce passage de la transcription, de l’oral à l’écrit, peut-on dire que la mémoire aurait conservé la révélation de manière suffisamment sûre pour que l’écrit reste totalement fidèle au message oral ? 
Ce problème a fait l’objet d’innombrables spéculations. Le grand spécialiste de l’oralité biblique, Marcel Jousse, qui a écrit de nombreux ouvrages sur le sujet, faisait remarquer que, dans les civilisations traditionnelles, la mémoire est beaucoup plus développée qu’aujourd’hui. Il y a un apprentissage du par cœur, une répétition du mot à mot, des procédés mnémotechniques, le fait de répéter certains mots, ou certaines assonances, permettent une efficace mémorisation et donc, par la suite, une transposition fidèle de l’oral.

La Révélation, ce serait à la fois un oral par cœur et un écrit sans faute.

Il est vrai, aujourd’hui encore, quand on regarde bien l’instruction religieuse, par exemple en Afrique, et je pense aux écoles du dimanche chez les Protestants, qu’on est frappé de constater l’extrême connaissance qu’ont aujourd’hui les jeunes Africains de 15 ou 16 ans par rapport à un texte difficile. 
Bien sûr, à leur âge, ils ont des capacités de mémoire que nous n’avons plus. Si l’on se tourne vers le Bouddhisme, on est frappé par les capacités de mémoire de certains moines bouddhistes.
Lorsque s’est tenu, en 1956, un concile à Rangoon en Birmanie pour purifier, corriger, les écritures bouddhistes, un moine s’est présenté qui connaissait par cœur les 15000 pages du canon bouddhique Theravada.

Il est exact que les capacités de mémoire étaient autrefois plus grandes qu’aujourd’hui ; dans notre jeunesse, nous avons appris par cœur beaucoup de fables de La Fontaine. Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui les jeunes élèves aient les mêmes capacités de mémorisation. Cela étant, nous savons aussi que la mémoire, même chez les jeunes, a ses défaillances. Il est donc très difficile de prouver que la transcription soit totalement fidèle.

Nous savons qu’une première mise par écrit aurait été ordonnée par le premier calife, c'est-à-dire, Abou BaKr, l’un de ses compagnons et premier successeur de Mohamed, et cela dès la mort du prophète.

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Abou Bakr

Il s’agirait de fragments. Mais le corpus coranique complet aurait été ordonné par le troisième calife, Othmân, entre 644 et 656, c'est-à-dire entre douze et vingt-quatre ans après la mort du prophète.
Ce n’est pas énorme comparé au canon bouddhique, mis par écrit au moins trois cents ans après la mort de Bouddha, qui ne connaissait probablement pas les écritures.

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Othmân

Ceci est important parce que Othmân, le troisième calife, est sans doute le plus discuté de toute l’histoire de l’Islam. C’est en effet sous son gouvernement qu’a commencé le grand schisme entre Sunnites et Chiites. Cependant, autant Othmân est un calife discuté, autant le Coran reste indiscuté, car il est considéré par les Musulmans comme étant l’œuvre de Dieu et non pas du calife.

Pour mettre par écrit le Coran, on a utilisé une nouvelle écriture ; cette nouvelle écriture, c’est l’Arabe. Il existe plusieurs hypothèses sur l’origine de cette écriture ; la plus vraisemblable est, en fait, une écriture dérivée de l’écriture syriaque qui, elle-même, était une écriture dérivée d’un certain nombre de graphismes de langues sémitiques telles que l’Hébreu et l’Araméen.

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Araméen et Hébreu

Donc cette nouvelle écriture, ce nouveau graphisme aurait servi à noter le Coran, qui est le premier livre transcrit dans l’écriture arabe. Il y a donc à la fois dans le Coran une sacralisation de l’écriture arabe et de la langue arabe dont c’est le premier grand texte. Cette sacralisation de l’écriture sera renforcée ultérieurement par l’interdit de l’image, qui ne figure pas dans le Coran, mais qui est exprimé dans les Hadiths. À partir de l’interdiction de l’image, l’écriture est reine et les fameuses arabesques, souvent à base de versets du Coran, seront à l’origine de l’art islamique, s’enracinent donc dans le texte même du Coran.

Ceci pose un problème. 
L’écriture arabe, comme l’écriture hébraïque ou araméenne, est une écriture consonantique qui ne note pas les voyelles D’où les risques d’erreurs dans la lecture, et de fausses interprétations. Certaines erreurs ont été corrigées par un procédé de notation des voyelles, mais ce risque subsiste cependant. 
D’autre part, il y a des prononciations divergentes de l’arabe, que certains d’entre vous connaissent probablement bien, et qui explique qu’il y ait eu des éditions différentes, notamment une édition maghrébine et une édition égyptienne, qui est la plus importante et sert de base au Coran actuel. Il existe aussi une édition iranienne pour les Chiites avec une notation des versets légèrement différente.

En ce qui concerne ce texte du Coran, il ne faut jamais oublier qu’il ne s’agit pas d’un texte ordonné, mais que cette transcription va essayer de rendre compte de révélations étagées dans le temps, qui vont être mises par écrit sans que l’on déclare au début à quelle catégorie littéraire appartiennent ces versets ou ces propos.

On va donc transcrire des textes de spiritualité de louanges à Dieu, d’évocation du Paradis, mais aussi des textes dogmatiques sur l’unicité de Dieu, la Trinité des Chrétiens, des textes historiques avec des références à Abraham et à Jésus, des textes juridiques qui vont concerner, par exemple, le voile islamique. Ces textes sont du reste moins nombreux qu’on ne le croit, puisqu’ils représentent tout au plus un quarantième du Coran. 
Il n’empêche que cette transcription va être une mise bout à bout d’un certain nombre d’éléments disparates, ce qui pour un non musulman rend la lecture du Coran assez particulière et fastidieuse ; on pourrait remarquer aussi que la lecture in extenso de la Bible, de la première page à la dernière a un caractère un peu surréaliste puisqu’il y a des textes juridiques, poétiques, historiques, etc.

La traduction

Le Coran est longtemps passé, surtout aux yeux des Musulmans, pour un texte intraduisible. Pourquoi intraduisible ? Parce que l’écriture et la langue Arabe ont un caractère particulier, et, pour les Musulmans, un caractère sacré. 

Il est vrai aussi que la traduction de l’Arabe, langue sémitique, en des langues très différentes, langues indo-européennes, comme le Grec, le Latin , le Français, langues extrême-orientales comme le Chinois, le Japonais, est une affaire extraordinairement complexe. 
Si on veut avoir une idée de cette complexité, on peut se référer à la traduction du Coran mot à mot par André Chouraqui, qui a également fait une traduction de la Bible. 

Il est certain que c’est très particulier ; on a le sentiment que le Coran traduit mot à mot est, sinon illisible, du moins extraordinairement particulier par ses sémitismes, des tournures propres aux langues sémitiques qui, pour êtres plus lisibles en Français, ont besoin d’être profondément remaniés. 
D’autre part, le Coran a, pendant longtemps, été manuscrit et non imprimé. Alors que, depuis le 16ème siècle et Gutenberg, la Bible avait été imprimée, le Coran a été longtemps copié à la main, à la manière des moines copistes du Moyen-Âge.

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Pourquoi ? En partie parce que les Musulmans se méfiaient de cette invention moderne de l’imprimerie qu’il fallait adapter aux caractères arabes, et parce que faire confiance à l’imprimeur est aussi une perte de pouvoir pour les religieux. Exactement comme lorsque la Bible a été imprimée, et que les religieux ont perdu un peu de leur pouvoir.

Le texte coûtait dix fois moins cher. En gros, l’imprimerie a divisé par dix le prix d’un ouvrage en version copiée et, désormais, des laïques pouvaient avoir accès plus facilement au texte sans le secours des moines copistes. De la même façon, les religieux musulmans se méfiaient des textes imprimés.
Pour les mêmes raisons, les scribes égyptiens ont longtemps résisté à l’invention et à l’utilisation de l’alphabet qui facilitait beaucoup la lecture, mais rendait moins indispensable la présence des scribes restés fidèles aux pictogrammes.

Le plus curieux est que le prophète Mohamed était sans doute illettré.

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Mohamed

Il est probable qu’il ne connaissait pas l’écriture. Or le Seigneur, nous dit le Coran, a enseigné au moyen de la plume. Il a délivré un message alors que, sans doute, son prophète ne savait pas lire et ne connaissait pas de langues étrangères.

De la même façon, il est très probable que Jésus ne parlait ni le Latin, ni le Grec. Donc, d’une certaine manière, traduire, c’est s’exprimer en une langue que l’homme de la révélation, que ce soit Jésus ou Mohamed, ne possédait pas.

Or le Coran a été traduit. Certes, beaucoup moins que la Bible, qui a été traduite en deux mille langues environ, dont environ mille langues africaines. Le Coran, lui, aurait été traduit en environ soixante-dix langues seulement.

Première langue, l’Allemand (1616), puis le Français (1740). Ce sont des traductions dues à des orientalistes européens, car les Musulmans refusaient de traduire. Mais, pour prendre un certain nombre de pays où se trouvaient de nombreux Musulmans, la traduction en langue Malaise date de 1928, en Chinois de 1927, en Kurde de 1968, et en Peul, langue assez pratiquée par des Africains en partie nomades, de 1970. Ce qui veut dire que, pendant longtemps, celui qui ne maîtrisait pas la lecture de l’Arabe ne pouvait pas avoir accès au texte coranique.

Cette traduction est-elle une trahison ?
L’Arabe, langue de Dieu, est-il inimitable ? 
Le problème se pose pour un très grand nombre de textes religieux, avec une différence par rapport au Nouveau Testament. En effet, Mohamed parlait arabe et le Coran est écrit en arabe, alors que Jésus parlait sans doute en araméen alors que le Nouveau Testament est écrit en Grec. Donc, dés le départ, le texte sacré des chrétiens est écrit dans une langue qui n’était pas celle de Jésus, alors que, pour le Coran, c’était bien la langue du prophète Mohamed.

Toujours est-il qu’aujourd’hui encore les Musulmans, tout en acceptant ces traductions, les refusent pour les usages liturgiques ; en d’autres termes, à la mosquée, le Coran est lu en arabe. Ceci pose des problèmes considérables, notamment en France où seulement une minorité des fidèles musulmans maîtrise l’arabe.

L'interprétation

Concernant les problèmes d’interprétation, d’exégèse, d’herméneutique, nous allons prendre un exemple. 

Si on lit la sourate 5, verset 38, il est écrit, "Le voleur et la voleuse, coupez leur la main ". Ce n’est pas Mohamed qui a inventé la formule, car la peine d’amputation pour le vol était déjà prévue dans beaucoup de lois mésopotamiennes. 
Si on interprète littéralement cette sourate, on coupe la main au voleur, ce qui se fait encore en Arabie Saoudite. C’est l’interprétation littérale. 

Des musulmans ont essayé d’autres formes d’interprétations. On pourrait dire, par exemple, "Le voleur et la voleuse, retranchez-les de leur main " ; c'est-à-dire, faites en sorte que leurs mains ne puissent pas voler. Ce serait une forme de prévention. Ou aussi, faites qu’elles ne puissent plus voler. C'est-à-dire, mettez leurs mains hors de la portée des biens, mettez les en prison, ils ne pourront plus voler.

Le même problème se pose dans la Bible avec la peine de lapidation pour les femmes adultères, peine prévue par la loi hébraïque.

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La femme adultère

Fallait-il en faire une interprétation littérale ou pas ? On sait que Jésus, lorsqu’une femme adultère lui a été présentée, n’a pas répondu à la question. Il a dit : "Que celui qui n’a pas pêché lui jette la première pierre ". Ce qui veut dire, premièrement on ne sait pas s’il faut la lapider, deuxièmement, il vaut probablement mieux ne pas la lapider parce que tout le monde a pêché, troisièmement cela ne signifie pas que la Bible ait dit faux, mais que l’interprétation de la Bible suppose qu’on prenne une certaine distance avec le texte.

On peut faire rigoureusement pareil pour le Coran. C'est-à-dire que, d’un côté, il y aurait un sens littéral, extérieur, explicite, et de l’autre, il y aurait un sens caché, intérieur, implicite, symbolique. 

Cet effort d’interprétation s’appelle Ijtihâd, qui est une sorte de combat intérieur pour trouver ce sens caché qui n’est pas forcément le même pour tous. C’est un effort qui peut être à la fois scientifique, l’exégèse, un effort intellectuel et spirituel d’interprétation, d’herméneutique, et qui peut essayer de faire coïncider la démarche du croyant avec celle du savant, dans des proportions et selon des voies qui, naturellement, ne sont pas les mêmes pour les différentes écoles d’interprétation.

Aujourd’hui, nous avons tendance à mettre en avant l’interprétation littérale du Coran. 
L’Islamisme, dans sa forme la plus primaire, la plus violente, est une interprétation littérale du Coran.

Les évangélistes fondamentalistes ont également une interprétation littérale de la Bible. Il n’empêche que, dans de nombreux milieux musulmans, subsiste une interprétation beaucoup plus évoluée, beaucoup plus compliquée aussi, du Coran, qui tend à restituer le texte dans son environnement historique et géographique.

Il est évident, par exemple, que l’amputation de la main du voleur est incompréhensible si on ne se remet pas dans les conditions juridiques de l’époque où la peine d’amputation était prévue par beaucoup de textes juridiques. La peine de mort, en France, est abolie depuis peu. Au Proche-Orient, elle était, d’une manière ou d’une autre, prévue dans un très grand nombre de cas. La Torah biblique est sur ce point extrêmement sévère.

L'instruction

Instruction : qu’est-ce que ça veut dire ?

Si vous lisez la sourate 1, verset 2, il est écrit : "Ceci est le livre parfait, dans lequel il n’y a pas de doute. C’est une direction pour les justes ". Il n’y a pas de doute, ce n’est que de la foi. C’est une direction pour les justes. Direction en hébreux se dit "Torah ", direction ou directive. En d’autres termes, le Coran est un livre qui donne une direction, des instructions, au croyant.

Quelles sont ces instructions ? Elles sont très nombreuses, mais je voudrais ici en souligner trois.

La première, la plus importante, c’est qu’il n’y a qu’un seul Dieu, Allah.

Rien de nouveau en cela, la Bible disait pareil. Et si on écoute le magnifique choral de Jean-Sébastien Bach du dogme en musique, "Nous croyons tous en un seul Dieu ", c’est la même expression. On pourrait dire qu’il y a un seul Dieu. Juifs, Chrétiens ou Musulmans, tous sont en accord. Mais il faut resituer cela dans son contexte historique, par rapport au polythéisme de La Mecque.

La Mecque, en Arabie de l’époque, comprenait la Jordanie actuelle, la région de Pétra.

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Pétra


Il y avait des Dieux et des Déesses, notamment trois célèbres déesses, Allât, Uzzä, Manât, mentionnées dans les fameux versets islamiques, qui ont valu à Salman Rushdie une condamnation, une fatwa. Il est clair que la révélation du Coran rompt totalement avec ce polythéisme.

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Les déesses Allât et Uzzä

Il n’y a plus de déesses. Du reste, Allah est un nom masculin, et il n’y a plus de dieux au pluriel. 

Il y a l’unicité de Dieu, ce qui est plus que l’unité. Dieu est unique, singulier, incomparable, c’est un dieu créateur, totalement distinct de ses créatures, un dieu qui n’engendre pas.

Deuxième élément de la croyance en un seul dieu : non seulement il n’y a pas de polythéisme, mais il n’y a pas de Trinité.

La Trinité est une hérésie pour les Musulmans. 
Pour le Coran, la Trinité c’est le Père, le Fils et Marie, alors que, pour les Chrétiens, c’est le Père, le Fils, l’Esprit. Il est probable que Mohamed n’était pas très bien informé à ce sujet. Et pour cause, il était informé par les Chrétiens Monophysites ou Nestoriens, qui étaient majoritaires au Proche-Orient, et qui contestaient les définitions conciliaires des conciles d’Ephèse en 431, et de Calcédoine en 451, qui ont donné le Credo chrétien actuel. 
Pour les monophysites, il ne pouvait pas y avoir le Père et le Fils égaux. Jésus avait une apparence humaine et une réalité divine. Il n’y avait pas une incarnation au sens plein du terme, et, pour les Nestoriens, Marie était la mère de Jésus, non pas la mère de Dieu. Ce qui prouve bien qu’il y avait une inégalité entre Jésus et Dieu. 
De ce point de vue, on peut dire que le Coran et l’Islam vont vers un monophysisme radical. C'est-à-dire que Mohamed a poussé à l’extrême certaines convictions des Chrétiens Monophysites ou Nestoriens.

Il n’y a qu’un seul Dieu. La divinité ne se divise pas, et donc Jésus n’est pas Dieu.

Troisième élément : Mohamed est son prophète.

Il y eut d’autres prophètes, beaucoup d’autres. D’ailleurs le Coran appelle prophètes des gens que nous appelons patriarches, comme Abraham, par exemple.

Mais Mohamed est le dernier des prophètes. Toute personne venant après Mohamed et qui se prétend prophète est un imposteur. Ceci est important.

Par exemple, au 19ème siècle, au Pakistan, le mouvement des Ahmadis va considérer que son fondateur était un prophète. Ils ont été persécutés et, aujourd’hui, il est interdit de se dire Ahmadis au Pakistan.

Ce sont ceux qui prétendent que Jésus est mort au Cachemire.

Il y a ensuite les Bahas, religion née au 19ème siècle, qui est un syncrétisme entre Islam, Christianisme, Judaïsme et Zoroastrisme. Les fondateurs du Bahaïsme ont été considérés comme des imposteurs, donc persécutés. 
Mohamed est le dernier des prophètes, ce n’est pas le premier. Il se situe dans une longue lignée qui commence à Abraham, mais avec lui s’achève la révélation. Ce qui est postérieur à lui n’est plus de l’ordre du Dieu révélé.

Et Jésus ? Jésus est un prophète, c’est clair.

Problème ! Est-il le fils de Dieu ?
Réponse, non ! Sûrement pas, puisque Dieu n’engendre pas.
Est-il mort sur la croix ? La réponse est très difficile en raison des versets contradictoires, sourate 2, verset 72, et sourate 4, verset 157. Il y a des problèmes de traduction. 
Pour résumer la croyance ou l’exégèse musulmane majoritaire, je dirais que Jésus n’est pas mort sur la croix.

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A-t-on substitué un corps au sien ? S’agit-il d’une simulation de mort, d’une mort fantasmée ? 

Il existe des interprétations divergentes sur ce plan ; en principe, Jésus ne serait pas mort sur la Croix, mais dans une région de collines élevées, au Cachemire.

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Le Cachemire

Il n’est pas mort, ce qui signifie qu’il n’est pas non plus ressuscité trois jours plus tard. Par contre, les Musulmans pensent, mais ceci peut faire l’objet d’un certain nombre d’interprétations, à un retour de Jésus à la fin des temps, lors du Jugement Dernier.

Sous quelle forme ? Certains musulmans assimilent Jésus, généralement, au Mhadi ou Messie, celui qui viendrait juger les vivants et les morts à la fin du monde. Mais ce n’est pas un article de foi pour l’Islam.

Ce qui est le plus important, c’est que Jésus ne soit pas ressuscité le troisième jour. S’il revient à la fin des Temps, c’est dans le cadre du Jugement dernier, comme le prophète du Jugement Dernier, mais, en aucun cas comme le Rédempteur qui, par sa mort et sa résurrection, aurait racheté l’humanité.

La Loi

La Loi c’est quoi ? C’est la Charia, littéralement la voie prescrite. 
Cette Charia se déduit à la fois des prescriptions du Coran et de celles des Hadiths, des propos du prophète.

La Charia
La Charia

Reportons-nous au Coran, sourate 4, verset 28, où il est écrit : "Allah désire alléger votre fardeau car l’homme fut créé faible ". 
Ceci paraît incroyable, car nous avons le sentiment que le retour de la Charia est quelque chose de très barbare qui impose à l’homme de très lourdes obligations, à commencer par le jeûne duRamadan, le voile des femmes et bien d’autres choses.

En réalité, il faut se replacer dans le contexte de l’époque et, notamment, avoir en tête les prescriptions de la Torah juive, telles qu’elles peuvent être interprétées par des Juifs orthodoxes.

Elles sont extraordinairement détaillées, avec les 613 commandements qui, si on veut tous les observer, posent d’innombrables problèmes pratiques, notamment dans le domaine de la nourriture. 
Les prescriptions juridiques du livre du Lévitique sont extrêmement rigoureuses en matière de mariage et de bien d’autres choses.

Le Coran dit que, si Dieu a imposé des commandements si nombreux aux Juifs, c’est parce qu’ils avaient abondamment pêché, et que les Musulmans pêchant moins, il leur faut moins de commandements. 
On en pense ce que l’on veut, mais c’est un fait que l’ensemble juridique coranique, complété par les Hadiths est beaucoup moins détaillé que le corpus de la Torah.

Regardez par exemple la nourriture Halal. Il n’y a pas d’alcool, pas de porc, le fait que les viandes soient saignées ne présente pas de grandes difficultés. Par contre, manger "casher " est quasiment impossible à l’école publique. Cela supposerait un grand nombre d’obligations à respecter très détaillées. 

En définitive on peut estimer qu’à l’époque du prophète Mohamed, la loi était une loi allégée, une loi "light ". D’ailleurs elle était assez gentille puisque, pour les pêcheurs qui vont en enfer, l’enfer n’est pas perpétuel.

Le problème est de savoir si les prescriptions juridiques, qui semblaient légères et faciles à observer du temps du prophète, sont encore adaptées aux temps modernes, mille cinq cents ans plus tard et à plusieurs milliers de kilomètres de là.

C’est effectivement un autre problème.
Cette loi a sa science, la science de la Charia, que l’on nomme le "Fiqh ". Elle est définie par les Ulémas, qui sont des savants faisant penser aux docteurs de la loi du judaïsme. Cependant, constamment, et on l’oublie un peu trop souvent aujourd’hui, cette loi Coranique s’est trouvée en rivalité avec d’autres prescriptions. 
Il y a une prescription très importante que l’on appelle, l’ "Adat ", c'est-à-dire, la coutume, en Malaisie et en Indonésie.

La Malaisie plus l’Indonésie comptent environ deux cent cinquante millions de Musulmans. Jusqu’à ces dernières années, la Charia était tempérée par l’Adat, la coutume locale, et la réislamisation massive de ces pays tend à redonner la primauté à la Charia sur l’Adat.

Donc il est incontestable que le mouvement fondamentaliste musulman tend à privilégier la Charia sur l’Adat, sur les coutumes et sur les droits locaux. 
Le même problème s’était posé à la loi juive, la Torah, par rapport au droit romain. Saint Paul a répondu à cette question en disant que les Chrétiens devaient être soumis aux autorités romaines et grecques, donc suivre le droit romain, et qu’ils étaient exemptés des prescriptions de la Torah, à commencer par la nourriture cachère et la circoncision.

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Le problème que pose la loi coranique, comme la loi biblique, est le suivant : 
Une loi religieuse peut-elle prévaloir sur une loi profane ?

Si la réponse est, oui, le régime est vite théocratique.

Si la réponse est, non, le régime peut être démocratique.

Je crois que ce problème ne concerne pas uniquement le Coran, mais tous les textes révélés.

Si les lois profanes doivent céder le pas aux lois religieuses, il y a théocratie, si les lois religieuses peuvent vivre avec les lois profanes, il peut y avoir démocratie. 

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Monnaies de l'Islam, Tombeau de Mohamed, Minaret


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