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Les aviatrices de guerre

Le jeudi 5 janvier 2006

par Bernard MARCK
Historien de l'aviation

Je vais aujourd’hui vous parler des aviatrices en guerre. On ne peut pas imaginer une aviatrice revêtir un uniforme, monter dans un avion, aller se battre et tirer sur d’autres avions.
En fait, l’affaire ne se présente pas exactement comme cela et elle nous entraîne à travers tous les pays, que ce soit l’Union Soviétique ou la Russie – l’aventure a commencé en Russie en 1912 -, aux Etats-Unis, en Angleterre, bref dans tous les pays où l’aviation a une existence relativement ancienne.

Avant d’aborder ce volet de l’aviation féminine militaire – qu’elle se décline sous forme d’aviation de chasse, de bombardement, ou à travers l’histoire des infirmières de l’air ou des aviatrices de convoyages, j’aimerais faire une remarque.

Les femmes dans l’aviation ont toujours occupé une place de premier plan, même si l’on n’en a pas toujours parlé comme on aurait dû le faire. La plupart des histoires négligent d’évoquer le rôle des femmes qui ont eu à faire à une sorte d’ostracisme généré par un machisme forcené.

Il faut leur rendre hommage car, au commencement de l’aviation, au début de 1900, quand les femmes ont commencé à vouloir piloter, la période était plus souvent favorable aux accidents qu’aux évolutions aériennes libres qu’on peut voir aujourd’hui. Il était extrêmement dangereux de voler même si cela relevait du plaisir. Or, d’emblée, quand les premières montgolfières se sont élevées, les femmes ont voulu participer à cette aventure aérienne. C’était en 1784 !

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S’il y a toujours eu égalité de compétences entre les hommes et les femmes dans ce domaine, il n’y a jamais eu égalité de chances. Ce qu’on interdisait déjà aux femmes en temps de paix leur a donc été parfois interdit en temps de guerre. Cela peut se comprendre, car comme disait un général français : « On ne peut pas imaginer qu’une femme, dont le rôle consiste à donner la vie, puisse un jour monter dans un avion pour la retirer à un autre être ». 

Néanmoins, dans l’histoire que je vais vous raconter, les femmes n’ont pratiquement jamais volé pour ôter la vie. Elles ont assuré au mieux la défense de leur patrie, ce qui était le cas des aviatrices soviétiques, ou elles ont assuré des convoyages d’avions.

Le cas soviétique est le plus significatif de l’image que l’on peut avoir de l’aviatrice de guerre. La tradition russe, avant le Révolution d’Octobre, voulait que le tsar ait un régiment féminin. On connaît au moins deux aviatrices. La première, Lyubov Golanchikova, était détentrice depuis 1912 d’un record d’altitude. C’est une femme qui assurait le convoyage des avions pendant la guerre contre l’Allemagne en 1916-1917. La deuxième était une princesse Dolgoroukaïa qui faisait des essais d’avions. Leurs rôles se résumaient donc à un travail à l’arrière, mais elles étaient considérées comme militaires, ce qui est très important.

Par la suite, après la Révolution d’Octobre, on trouve au moins une seule aviatrice, Nathalie Bervy. Elle a été le premier pilote de l’Armée Rouge. A partir de là, les Soviétiques ont commencé à intégrer des femmes à l’Aeroflot, où l’on trouve une femme pilote de ligne dès 1934, et cette femme deviendra pilote de guerre, pilote de bombardement. Parmi ces femmes qui assurent à l’U.R.S.S. des heures glorieuses, il y en a trois qui, en 1941, vont, à l’initiative de Staline, créer des groupes de chasse et de bombardement. Il s’agit essentiellement de Valentina Grizodubova, de Paulina Ossipenko et surtout de Marina Raskova.

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La situation en 1941 est assez particulière en U.R.S.S. puisque l’Allemagne vient de rompre son pacte et d’envahir l’Union Soviétique. D’emblée, les pertes soviétiques sont énormes parce que les Allemands font venir sur le front des unités aguerries, notamment des unités d’aviation dont certains pilotes se sont colletés aux aviateurs britanniques et français. Les Allemands ont acquis une grande expérience, certains en Espagne avec la Légion Condor, et lorsqu’ils arrivent en U.R.S.S., ils font de véritables cartons. Les scores de aviateurs allemands sont hallucinants. Certains arrivent à abattre cinquante avions en un ou deux mois. C’est sans commune mesure avec ce qui se passe sur le front occidental où les aviateurs britanniques et français pendant la Bataille de France sont autrement plus redoutables face aux Allemands.

Quand Staline se rend compte que son aviation se heurte à d’énormes difficultés, il demande aux aviatrices expérimentées de se mettre dans la partie.

C’est là qu’intervient notamment Marina Raskova qui va créer une unité de chasse affectée uniquement à l’interception des appareils ennemis et la protection des villes, puis également une unité de bombardement de jour et une unité de bombardement de nuit qui se distinguera tout particulièrement car elle va voler dans des conditions épouvantables avec des résultats extraordinaires, notamment pendant Stalingrad. Précisons que ces femmes volent en première ligne à bord d’avions qui se traînent…

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L’avion principal utilisé par cette dernière unité a laissé un nom dans l’Histoire : « Les sorcières de la nuit ». Les aviatrices sont à bord d’avions très lents, des bombardiers PO2 dont la vitesse oscille entre 120 et 150 kms/heure. Elles doivent effectuer par tous temps des missions de nuit à 100 kilomètres à l’intérieur des lignes ennemies, ce qui n’est facile, et, en plus, elles doivent éviter la DCA allemande et accomplir de dix à quinze minutes par nuit !
Parmi ces aviatrices, on compte vingt-trois héros de l’Union Soviétique. Pour décrocher le titre de « héros de l’Union Soviétique », il fallait avoir accompli mille missions. Il s’agit de missions extrêmement périlleuses au cours desquelles elles servent de cibles faciles à l’aviation allemande. 
Les Allemands se font une spécialité de ces avions et s’en délectent. Néanmoins, jour après jour et nuit après nuit, les équipes de Raskova vont mener la vie dure aux Allemands à Stalingrad, au point que ceux-ci seront obligés de créer une unité de chasse et d’interception spéciale de nuit pour tenter d’arrêter ces avions.

Au total, près de six cent aviatrices russes vont servir dans ces trois unités. Beaucoup vont mourir, comme Raskova en 1943. 
Celles qui servent dans la chasse ne tardent pas à se tailler un franc succès, comme Lidya Litvyak.

Lidya-Litvyak
Lidya Litvyak

Cette jeune fille est attendrissante. De plus, au coeur de la guerre, elle va vivre une histoire d’amour avec un pilote de chasse soviétique qui va assister à sa fin car elle est devenue la bête noire de l’aviation allemande à laquelle elle donne des frayeurs – on pense qu’elle a obtenu onze victoires confirmées.

Ce pilote soviétique assiste donc à sa mort quand quatre chasseurs Messerschmitt s’acharnent sur elle. On l’appelait « Le petit lys blanc ». C’était une fille simple dont nos aviateurs du Normandie-Niemen parlent avec beaucoup d’émotion d’autant plus qu’ils ont eu l’occasion, à plusieurs reprises, d’accompagner en missions « les sorcières de la nuit ». Ces missions entraînèrent les aviatrices soviétiques et les pilotes français à voyager au-dessus des pays baltes, avant de les mener en Allemagne jusqu’à la chute de Berlin.

Ces missions étaient tellement dangereuses que pour éviter les attaques allemandes, les aviatrices soviétiques avaient mis au point une tactique extrêmement périlleuse. Pendant qu’une vague d’avions arrivait en faisant le plus de bruit possible au-dessus de la cible – ce qui était déjà très dangereux -, la vague qui suivait immédiatement coupait les moteurs – ce qui est également très dangereux quand on n’est pas à une haute altitude -, et tombait sur sa cible. Quand les aviatrices arrivaient à la verticale de leur cible, elles lâchaient leurs bombes. C’est à cette tactique risquée et diabolique qu’elles doivent leur surnom de « sorcières de la nuit » car les Allemands, après le passage de la première vague et du boucan qu’elle faisait, entendaient soudain le sifflement de l’avion en piqué, pas de bruit de moteur et puis le sifflement des bombes qui arrivaient et qu’ils ne pouvaient alors plus éviter.

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Les Allemands étaient terrorisés par ces filles âgées de dix-huit à vingt-deux ans. Les initiatrices de ces groupes étaient des « vieilles » de trente ans ! Toutes ces initiatrices ont été tuées au combat, et toutes sont mortes curieusement en 1943. Mais c’était le pic de la bagarre de Stalingrad. Quand elles savaient qu’un vol du Normandie-Niemen allait les accompagner, elles étaient soulagées et très heureuses. Les pilotes du Normandie-Niemen étaient très contents mais également épatés. Par exemple, un jour où les vols étaient interdits à cause du temps, les gens du Normandie-Niemen voient se poser un avion dans les conditions de l’hiver russe, par une terrible tempête de neige. Ils se précipitent pour accueillir le pilote qui avait dû s’y prendre à deux fois avant de se poser et quand ils arrivent près de l’avion, ils voient descendre une charmante jeune femme. Ils étaient vraiment surpris.

Ces escadrilles, ces groupes de bombardement et ces unités de chasse étaient au début entièrement féminins. C’est-à-dire que les mécaniciens étaient des mécaniciennes, que l’Etat-major était féminin et que tous les pilotes étaient des femmes. Petit à petit, les unités de bombardement de jour et de chasse sont devenues mixtes. On a commencé à voir des aviateurs qui étaient bien contents de se trouver entraînés par des femmes expérimentées et aguerries comme celles-ci.

Pourtant, au départ, Dimitri Popov, qui venait d’hériter de ces groupes, a dit : « Mais on me confie un jardin d’enfants ! ». Par la suite, il s’est rendu compte que ce jardin d’enfants était composé d’enfants précoces malheureusement, puisqu’il s’agissait de faire la guerre.

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Dans quel était d’esprit faisaient-elles la guerre ? Ce n’était pas pour tuer. Elles faisaient la guerre pour défendre la patrie. Cela allait très mal à ce moment-là. Il y avait une telle hémorragie sur le front que Staline a décrété la mobilisation de tous les hommes de dix-huit à cinquante-cinq ans, et de toutes les femmes de dix-huit à quarante-cinq ans. Ces femmes ont payé le prix fort de ces combats puisqu’elles étaient souvent en première ligne.

Les Allemands étaient eux aussi surpris que les avions soient pilotés par des femmes car on ne voit pas qui se trouve à l’intérieur l’appareil. Il est arrivé à un as allemand d’être abattu par un de ces avions, un Yak, au cours d’un combat où il s’est trouvé surclassé par le pilote. Quand il est arrivé au sol en parachute et que le pilote qui l’avait abattu s’est posé quelques instants plus tard, il a été stupéfait de voir qu’il avait été abattu par une femme.

Tous les Allemands n’étaient pas de bonne composition et quand ils leur arrivaient de capturer l’une de ces filles, soit parce qu’elle s’était écrasée, soit parce qu’elle avait dû abandonner son avion en parachute, ils lui réservaient le pire des sorts. C’est arrivé très souvent, comme c’est arrivé également aux aviateurs du Normandie-Niemen. S’ils se faisaient prendre par les Allemands, ils étaient abattus car ils étaient considérés comme des hors-la-loi, et les lois de la guerre n’étaient pas respectées avec le Normandie, devenu Normandie-Niemen pour s’être illustré d’une manière formidable.

L’une des dernières missions accomplie par le Normandie-Niemen avec les aviatrices du groupe de bombardement de jour a été le passage très connu de la Bérézina. Cette fois, ça s’est très bien passé. Ce n’était pas l’armée de Napoléon en déroute, mais c’était les Français et les Soviétiques ensemble pour repousser les attaques allemandes. Les Allemands commençaient à ce moment-là à reculer. C’était le repli sur l’Allemagne puis, après, l’affaire de Berlin.

Pour les aviatrices russes, les missions étaient répétées dix à quinze fois nuit après nuit. On sait qu’au plus fort de la bataille d’Angleterre, les aviateurs anglais et leurs collègues français ou polonais effectuaient parfois jusqu’à dix sorties, ce qui est extrêmement éprouvant tant pour les nerfs que pour le moral. On imagine comment ces femmes, qui avaient par moments les inconvénients de leur sexe, volaient quand même et dans des conditions qui méritent le plus grand respect et un coup de chapeau.

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Au début de la guerre, des aviatrices polonaises sont entrées en scène, mais comme la Pologne a été rapidement envahie et a dû s’incliner, les trois aviatrices sont passées en France par la Roumanie puis, après la débâcle, sont parties en Angleterre où elles ont rejoint les aviatrices de convoyage des avions puisque les Anglais n’acceptaient de mettre des aviatrices au combat dans des avions de chasse ou de bombardement.

En revanche, à partir de 1939, Pauline Gower, fille d’un député conservateur, a créé la section féminine de l’ « Air Transport Auxiliary » (ATA), une organisation de convoyage des avions qui a été exemplaire. Elle assurait le convoyage des avions des usines jusqu’aux bases et permettait aux hommes d’intégrer les unités combattantes. Le rôle des femmes en Angleterre a donc été de tout premier ordre, à tel point que les Américains qui suivaient les événements avec attention, ont dépêché une de leurs aviatrices les plus connues, Jacqueline Cochran.

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Jacqueline Cochran était considérée comme la dauphine d’Amelia Earhart qui avait disparu le 2 juillet 1937 et venait de reprendre des records de vitesse d’Hélène Boucher. Elle était l’une des aviatrices les plus cotées aux Etats-Unis et, surtout, elle avait l’ambition de créer dans son pays ce qui existait en Angleterre, c’est-à-dire une unité de convoyage des avions. En effet, les Américains, dans le cadre d’un plan d’aide à la Grande-Bretagne, commençaient à expédier des avions vers la Grande-Bretagne et il fallait des pilotes pour les amener. On a essayé de garder les hommes pour le combat et ce dont les femmes qui ont assuré le convoyage.

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Cela ne s’est pas fait de façon très aisée aux Etats-Unis car il y avait concurrence entre deux femmes. L’une d’elles s’appelait Nancy Love, un très beau nom, qui avait créé une organisation de convoyage ayant reçu l’aval du général Arnold, chef d’Etat-major de l’armée américaine. Mais Jacqueline Cochran avait fait un voyage d’étude en Grande-Bretagne qui lui a permis d’apprendre beaucoup de Pauline Gower sur les méthodes employées en Grande-Bretagne. Ce n’est pas évident. Il faut des aviatrices expérimentées car elles sont amenées à piloter un jour un Spitfire, le lendemain un bombardier quadrimoteur Lancaster ou Halifax. Ce sont donc des filles polyvalentes et on ne peut pas mettre des avions comme ceux-là – surtout le Spitfire qui est un avion très nerveux – entre toutes les mains.

C’est ce qui permet à Jacqueline Cochran de revenir avec des recettes qui s’imposent sur celles de Nancy Love. Elle va créer le « Woman Air Service Pilots » qui sera amené à rassembler 916 aviatrices. Elles étaient cinquante au départ. On leur avait donné un petit bout d’essai pour voir si elles étaient aptes. Le machisme était tourné à plein pendant la guerre. Quand les militaires ont vu débarquer des femmes, cela a suscité des crises. « Elles sont incapables », disait-on. Puis on s’est rendu compte qu’elles étaient capables de faire beaucoup et, finalement, en vingt-sept mois de fonctionnement, les « WASP » ont convoyé 12.650 avions de 77 types et parcouru 15 millions de kilomètres.

Tout cela a un prix car trente-huit ont trouvé la mort, douze par accident, mais vingt-six au cours de missions. Parfois, pendant les missions de convoyage, quand elles arrivaient dans la zone de Grande-Bretagne, elles se trouvaient confrontées à des attaques d’appareils allemands.

L’une d’entre elles a même réussi à faire tomber un avion allemand alors que son avion n’était pas armé. C’est par des phases d’acrobaties et de voltiges aériennes qu’elle a amené l’appareil allemand à tomber en perdition en mer.

Le prix a été d’autant plus cher à payer que nombre de ces aviatrices étaient célèbres, comme Jacqueline Cochran.

Il y avait aussi une aviatrice anglaise qui s’était fait connaître entre les deux guerres par ses voyages en Australie et également par son mariage tapageur avec un aviateur australien qui s’appelait James « Jim » Mollison. Cette aviatrice, Amy Johnson, est devenue, pendant la guerre, convoyeuse de l’air. Un jour de 1941 où elle ramenait un bimoteur de reconnaissance de l’Ecosse vers le sud de l’Angleterre, les conditions atmosphériques ont fait qu’elle s’est perdue. Elle est tombée dans la Tamise. Un bateau de pêche qui passait à proximité a voulu lui venir en aide. Les marins l’ont entendu appeler et quand ils se sont rapprochés, elle était entrée dans les remous et on ne l’a jamais retrouvée. Le capitaine du bateau, qui a plongé pour tenter de la sauver, est mort lui-même dans l’eau froide. Ces convoyages n’étaient donc pas dépourvus de danger.

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On a vu les aviatrices soviétiques qui, pour venir au secours de la patrie, ont été amenées à se battre. Mais les conditions culturelles en Russie ne sont pas les mêmes qu’en Angleterre et encore moins qu’aux Etats-Unis.
Les Etats-Unis ne sont pas menacés mais, néanmoins, pour aider la Grande-Bretagne, ils envoient leurs aviatrices pour le convoyage. Cela a duré jusqu’à la fin de 1944.

Jacqueline Cochran est devenue ensuite la grande rivale de Jacqueline Auriol, et notre Jacqueline a fini par s’imposer dans ce combat. Mais cette fois, il s’agissait d’un combat paisible, même si c’était un combat rapide puisqu’il se passait à bord d’avions à réaction.

Jacqueline Auriol a conservé son record de vitesse à bord d’un Mirage. Les deux femmes s’estimaient et, de plus, elles ont montré qu’elles avaient les capacités nécessaires pour piloter de tels engins.

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Il existe aussi l’aviation d’espionnage. 
Nous connaissons au moins une aviatrice espionne, Amelia Earhart, et l’on pense que sa disparition est liée à une mission d’espionnage. Cette femme s’était fait connaître par des records de distance, par sa traversée de l’Atlantique cinq ans après celle de Lindbergh.

Un jour, elle entreprend un tour du monde. Assez curieusemement, lorsqu’elle fait l’ultime escale en Nouvelle-Guinée avant de traverser le Pacifique, la marine américaine change ses moteurs pour des moteurs plus puissants. Par ailleurs, d’après le journaliste américain, Fred Goerner, qui a enquêté sur sa disparition, elle aurait reçu pour mission de survoler des archipels qu’on suspectait de servir de bases secrètes pour les Japonais. 
Les Japonais préparaient une invasion. On sait maintenant que l’attaque de Pearl Harbour était connue bien avant 1941. Quand Amelia Earhart a décollé pour rejoindre l’îlot de Howland en partant de La Nouvelle-Guinée – un vol de plus de 4000 kilomètres -, elle était avec un navigateur, Noonan. A un moment, ses appels radios, reliés par des navires, ont commencé à s’estomper, puis se sont tus.

D’après le journaliste, elle avait embarqué des appareils photo dans son avion, elle serait tombée près de l’île Howland, au milieu du Pacifique. Elle aurait amerri, ce qui n’est pas évident avec un avion terrestre. Là, les Japonais les auraient capturés. Beaucoup de témoignages tendent à prouver que son navigateur avait été blessé au moment de l’impact sur l’eau car de nombreuses personnes ont parlé, à l’époque, d’un homme qui avait un bandage autour du crâne.

La suite est assez mystérieuse. Les Japonais auraient décapité Noonan et auraient emmené Amelia Earhart, qui serait morte dans une prison de bambous. Toujours d’après Goerner, les restes d’Amelia Earhart auraient été ramenés aux Etats-Unis vingt ans après les faits.

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Dans un récent travail, j’ai posé la question à la marine américaine. J’avais la chance de bénéficier du travail de ce confrère qui a enquêté pendant près de vingt ans. J’ai donc posé les mêmes questions que les siennes à des officiers de l’US Navy, et, curieusement, j’ai eu des réponses embarrassées et même parfois contradictoires. La marine, par la voix de l’un de ses amiraux, reconnaît que des ossements ont bien été rapatriés de cette île et qu’il s’agissait de ceux d’une aviatrice.
Néanmoins, ils n’ont jamais voulu avouer que c’était les restes d’Amelia Earhart.

Ceci m’amène à parler d’une autre forme d’aviation de guerre encore plus pernicieuse. C’est l’aviation dite « kamikaze » que l’on trouve en Allemagne avec Hanna Reitsch. Elle aussi était une grande aviatrice, l’une des plus connues, et la première à piloter des hélicoptères. Ce petit bout de femme s’était fait remarquer par un certain nombre de performances avant la guerre, notamment en planeur. 
Dès le début de la guerre, elle devient pilote d’essai à Peenemünde qui était la base secrète où Werner Von Braun et son équipe faisaient les essais des V1 puis des V2, mais où l’aviation allemande faisait aussi les essais de ses prototypes secrets.

Hanna Reitsch va former, vers la fin de la guerre, un groupe de pilotes suicides. Ils étaient censés monter à bord de V1 modifiés de façon à ce qu’un être humain puisse y prendre place. Ce V1 était largué d’un avion porteur. Ensuite, son pilote n’avait plus qu’à le diriger sur sa cible. Il n’avait évidemment aucune chance de s’en sortir. Plusieurs aviatrices allemandes faisaient partie de cette affaire. L’unité s’appelait « S.O. Selbstofer », ce qui veut dire « Sacrifice de soi ».

Voilà ce que Hanna Reitsch avait écrit et que ses camarades devaient signer : 
« Je m’engage par ces lignes dans l’unité « S.O. Selbstofer », comme pilote de la bombe volante. Je sais que cette entreprise se terminera par ma mort ».

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Hanna Reitsch a terminé la guerre dans les meilleures conditions puisqu’elle a été capturée par les Américains. Elle a passé quelque temps en prison et n’a pas été inquiété car elle n’avait pas été mêlée au nazisme dont elle rejetait l’idéologie. Par la suite, elle a continué sa carrière de pilote de planeurs et a terminé tranquillement ses jours chez elle. Elle est morte de vieillesse.

Il est étonnant de voir que cette femme, qui était une pilote confirmée, a été capable – ce qui montre son talent - d’emmener un général allemand, Von Greim, dans Berlin assiégée à bord d’un Fiesela Storch, un petit avion très léger. Elle a réussi à déjouer la défense soviétique qui encerclait la ville et s’est posée pas très loin du bunker où se trouvait Hitler. Elle a donc été l’un des témoins des derniers jours d’Hitler. Elle avait amené Von Griem qui devait remplacer Goering qui venait d’être déchu. Elle est parvenue ensuite à quitter le bunker, à redécoller à bord d’un Arado et à se sauver. Mais quand elle a voulu se poser, les Américains étaient déjà sur la base et elle a été arrêtée.

Ces femmes ont donc eu des aventures assez exceptionnelles, dignes d’un film d’action ou d’un roman d’aventure.

Et les Françaises ?

Elles ont toujours eu une part prépondérante dans l’aviation et, elles aussi, ont voulu servir. Par exemple, au début de la première guerre mondiale, des aviatrices, parmi lesquelles Marie Marvingt et Marthe Richard, ont souhaité s’engager volontaires pour voler en escadron. Certaines sont mêmes venues, comme des aviateurs connus l’avaient fait, avec leur propre avion pour le mettre au service du pays.

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Mais là, pour les raisons que nous évoquions précédemment, le rôle d’une femme est de donner la vie. L’une d’elles a quand même fait une petite entorse à l’histoire. Elle s’appelait Marie Marvingt. Elle est connue, elle était aéronaute. Elle a battu tous les records d’alpinisme, de tir, d’hélicoptère. Elle a inventé les skis de sable. Elle a été championne de ski, de tennis, d’escrime. Elle a fait Nancy-Paris à bicyclette. Elle a passé son brevet d’hélicoptère à plus de soixante ans, bref, une femme étonnante.

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Il n’est pas question pour elle de rester les bras croisés alors que tout le monde se bat. Elle a fait une chose extraordinaire. Comme elle avait essuyé un refus catégorique de servir en escadrille, elle s’est déguisée en homme et, grâce à ses relations, elle a réussi à se faire mobiliser comme fantassin. Sous le nom de Beaulieu, elle servait comme soldat de 2ème classe au 3ème bataillon de chasseurs alpins. Ce n’est que quand elle a été blessée qu’on s’est rendu compte qu’il s’agissait d’une femme.

Si elle n’avait pas encore trouvé là sa vocation, nombre de femmes l’ont trouvée. Ceci est typiquement français.

Après, les aviatrices étrangères, notamment celles qui s’étaient regroupées par la suite aux Etats-Unis dans une association « The Ninety-Nine » - du nom des 99 premières aviatrices à avoir rejoint cette association -, ont commencé à s’intéresser à cette spécificité française, c’est-à-dire être à la fois aviatrice, parachutiste, infirmière et venir secourir les blessés sur les champs de bataille.


Au début des années 30, naissent les « IPSA », des infirmières, pilotes, parachutistes. Elles vont venir en aide sur le terrain pour rapatrier, faire de l’évacuation sanitaire, voire rechercher des aviateurs disparus. Pendant la Bataille de France, par exemple, nombre d’aviateurs se sont battus au-dessus de régions désertes et on ne les voyait donc pas. Par la suite, on verra parfaitement les aviateurs anglais au-dessus de Londres. Mais on ne voit pas les Français qui, pourtant, se sont battus au moins autant que les Anglais. Ils affrontaient des vagues d’avions très importantes. Ils ont réussi à contenir ces vagues d’avions, mais beaucoup d’aviateurs français sont tombés sans qu’on sache très bien où. On les enterrait sur place.

C’est là que les « IPSA », association créée par Madame Françoise Schneider et Madame Vassilia de Vendeuvre au début des années 30, sont parties à la recherche des équipages qui étaient tombés.

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Au début de la Seconde Guerre Mondiale, nos aviatrices voulaient quand même servir. On les a acceptées, mais comme pilotes de liaison. Elles servaient pour les liaisons gouvernementales ou pour l’acheminement des messages. Parmi elles, on retrouve des aviatrices de la carrure de Maryse Bastié, Maryse Hilsz, Claire Roman, de grandes aviatrices de l’Entre-deux-guerres qui vont servir jusqu’à la débâcle et qui, après entreront dans la Résistance. Cela a été le cas de Maryse Bastié et d’Adrienne Bolland qui sont devenues des résistantes. Elles seraient bien parties à Londres pour intégrer les forces françaises libres. 
De Gaulle était prêt à prendre des aviatrices, mais Churchill a mis son veto, ne voulant pas que des femmes entrent en escadrille.

Vers la fin de la guerre, le ministre de l’Air, Charles Tillon, pense qu’il serait bon d’avoir des femmes dans l’Armée. Il va donc créer un corps de pilotes militaires féminins. Leurs noms évoquent bien des souvenirs, bien des records. On retrouve, bien sûr, Maryse Bastié et Maryse Hilsz, qui va mourir en service commandé quand son avion va se désagréger en plein vol.

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On retrouve également la doyenne de nos aviatrices, Elizabeth Boselli, s’est éteinte à la fin de 2005. C’était une femme délicieuse, une grande dame. Elle était non seulement une aviatrice qui avait piloté les avions les plus rapides de l’époque et avait battu des records mais qui, à un moment, avait été la rivale de Jacqueline Auriol.

Si Jacqueline Auriol n’était pas une aviatrice militaire, Elizabeth Boselli en était une et aux records qu’elle a battus sur avions à réaction, elle a préféré poursuivre sa carrière militaire et a mené des dizaines d’opérations d’évacuation sanitaire et de surveillance, notamment en Algérie. Elle a donc dû mettre entre parenthèses sa carrière de pilote de records, ce qui l’a un peu exclue des projecteurs et de l’actualité.

L’ayant connue, je peux vous dire que quand l’on rencontre une femme semblable, on regrette de ne pas avoir été plus loin dans la connaissance de cette personnalité, on a envie d’écrire un livre sur cette femme attachante et exceptionnelle.

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Elizabeth Boselli

Il y a encore d’autres grandes aviatrices comme Elisabeth Lion, Yvonne Jourjon, Andrée Dupeyron, Suzanne Melk, Anne-Marie Imbrecq. Toutes ont fait parler d’elles à un moment ou à un autre. Néanmoins, comme cela sera le cas par la suite pour le corps de spationautes françaises, ces femmes ne seront pas vraiment employées.

On sait ce qu’il va advenir de Maryse Bastié. A la fin de sa carrière, elle travaillait au CEV de Melun où elle faisait plutôt du service social que de l’aviation. Elle est morte le 6 juillet 1952, au cours de la présentation à Lyon d’un Nord 2501.

Après la guerre, le rôle des femmes s’est trouvé fortement réduit dans l’aviation française et même un peu partout dans le monde.

Il y a pourtant un cas exceptionnel. Aujourd’hui en retraite, il s’agit du médecin général Valérie André. C’est une femme qui est médecin mais qui veut être pilote. Elle a réussi à faire les deux et est partie en Indochine. Là, elle rencontre celui qui deviendra son mari, le capitaine Santini, l’un des premiers pilotes d’hélicoptère Hiller. L’hélicoptère jouait un rôle très important pour l’évacuation dans des zones très sensibles de soldats blessés.

« Madame Ventilo », comme on l’a surnommée par la suite, a mené des opérations d’évacuation dans la jungle. Elle était adorée par les légionnaires. Elle en a sorti des dizaines du bourbier. 
A une occasion, son appareil a été abattu et elle a dû se poser en autorotation. Cela ne l’a pas empêché de continuer à apprendre, notamment avec Jean Boulet qui a été, sans doute, l’un de nos plus grands pilotes d’hélicoptères. Reconnu dans le monde entier, il a mené les essais et la mise au point de pratiquement toutes les familles d’hélicoptères français.

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Valérie André était un militaire de terrain. Elle a été sur tous les lieux de combats, que ce soit en Indochine ou en Algérie et c’est là qu’elle a obtenu ses étoiles de général. S’il y avait un Michelin des généraux, on ne saurait où mettre toutes les étoiles qu’on devrait lui donner.

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Cette femme-général a sans doute permis d’ouvrir la porte aux femmes dans l’Armée de l’Air. Premièrement au niveau de l’ALAT, qui est l’aviation terrestre et légère.

A partir de 1980, on voit apparaître dans l’ALAT les premières pilotes femmes d’hélicoptères. Aujourd’hui, cela s’est généralisé.

Caroline-Aigle

Caroline Aigle

Nous arrivons à l’élite de l’aviation française, c'est-à-dire la Chasse. Depuis quelques années, nous avons une femme charmante dans la Chasse qui porte un nom prédestiné,Caroline Aigle. Elle vole sur Mirage 2000 où elle est chef de patrouille. J’ai rencontré un instructeur à Cognac, déjà un vieux pilote militaire puisqu’il avait 35 ans. Dès qu’on lui parlait de femmes dans l’aviation, il crachait comme un cobra. Il ne voulait absolument pas en entendre parler. Depuis, il ne jure plus que par Caroline Aigle. Il dit qu’elle a la finesse et la compétence. 

Hélas, cette aviatrice aussi élégante que talentueuse nous a quittés le 21 août 2007, emportée par un cancer foudroyant.

Il y a des préjugés à faire tomber. A travers toute l’histoire de l’aviation, on se rend compte que les femmes n’ont rien à apprendre des hommes. Ce serait même plutôt le contraire. Elles ont montré dans le pilotage des avions de ligne et dans leurs interventions sur des terrains de guerre, qu’elles étaient à la hauteur, et capables de faire preuve d’un esprit de sacrifice supérieur à celui des hommes car elles savaient que la vie d’une nation était en jeu.

Concernant les aviatrices soviétiques, par exemple, j’ai lu la transcription de plusieurs des testaments qu’elles ont laissés. C’est très émouvant. 
On retrouve des phrases comme : « Puisse ma mort préserver les familles »
Elles savaient que, quand elles allaient au-devant des hordes d’Allemands, elles pourraient peut-être contenir un peu cette avancée.

Je citerai en particulier le cas d’une femme qui s’est sacrifiée. Elle savait qu’elle allait mourir. Elle était douillette. Une aiguille lui faisait peur. Or, cette femme a donné sa vie, et des témoins attestaient de la grandeur d’âme dont elle a fait preuve en permettant à ses deux camarades de sauter, sachant que, en mettant son avion dans une certaine position, elle allait de toute façon tomber aux commandes et se tuer.

Il y a toujours ce côté féminin. La femme de guerre reste avant tout la mère potentielle ou la mère qu’elle est. En effet, certaines pilotes soviétiques étaient des mamans ! On a dû mal à imaginer cela. L’état d’esprit au moment de la mission ne peut donc pas être le même que celui que peut avoir un homme. 
Ces femmes ont aidé à humaniser la guerre. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise guerre : c’est toujours effroyable. Et pourtant il y avait cette étincelle d’espoir à chaque fois qu’elles apparaissaient.

J’avais contacté Roland de La Poype, l’un des héros du Normandie-Niemen. Il avait fait partie de ces gens qui ont été surpris de voir apparaître ces femmes dans leurs cantonnements. Eux étaient là depuis des mois, ils avaient perdu des camarades, des pertes auxquelles on ne se fait pas, contrairement à ce que l’on peut dire. On s’endurcit d’une certaine manière, mais la mort de quelqu’un qui vous est proche, surtout par le combat, est toujours ressentie à jamais. Aussi, quand Roland de La Poye a vu, un jour, descendre cette jeune fille d’un avion, il a eu l’impression qu’on lui apportait de l’espoir au cœur de la tourmente.

Je terminerai en faisant remarquer qu’il y a également aujourd’hui des aviatrices en Afrique, notamment en Lybie. Kadafi a un escadron de gardes du corps féminin, mais il a aussi des femmes pilotes de chasse, notamment une certaine Aïcha, un nom de roman...

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