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Aliénor d'Aquitaine, Reine de France et Reine d’Angleterre

Le mardi 8 mars 2005


Par Françoise CHATEL de BRANCION


Docteur ès Lettres 

 

Je l’appellerai plutôt Éléonore parce qu’elle a eu le mauvais goût d’appeler une de ses filles comme elle, Aliénor. Pour une femme, avoir été à la fois reine de France, puis reine d’Angleterre, même si c’est le hasard qui l’a amenée jusque-là, c’est tout de même intéressant aujourd’hui, où l’on célèbre les femmes, de célébrer une femme aussi exceptionnelle, une femme dans l’Histoire, face à l’Histoire, Éléonore, comtesse de Poitiers, duchesse d’Aquitaine, et qui, à son époque, a été une femme très importante avec son fils, Richard Cœur de Lion, et son mari Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre. Ce sont les trois figures qui ont régné sur cet immense empire Anglo-Normando-Angevin.

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Elle était élancée et très belle, je ne saurais vous dire si elle était blonde, je pense que oui. Par contre, pour Henri Plantagenêt, on a des descriptions très précises et amusantes dans les manuscrits de l’époque.

Eleanor-SmallOn sait qu’elle était belle, grande, certainement très féminine, préoccupée par sa beauté, les fards, l’élégance, fort intelligente, artiste, musicienne. Elle a créé nombre de petites universités partout où elle est passée. À l’époque, cela s’appelait des « cours d’amour », avec toujours de grands poètes. En ce temps, les cours d’amour comprenaient l’étude de la poésie, de la lecture, de la musique.

Aliénor avait un grand-père poète, Ghislain de Trobador, et autour d’elle gravitaient beaucoup d’hommes célèbres, des troubadours.

En dehors de ses dons, elle eut dix enfants. Elle fût donc une mère de famille fort occupée par ses nombreux enfants, même si on ne peut affirmer qu’elle ait été une bonne mère. Mais, surtout, elle avait le goût de la politique, la soif de la politique, le goût du pouvoir, ce qui, pour une femme au XIème siècle, n’était pas si facile.

En fait, les femmes qui ont joué un rôle sont presque toutes des filles, des épouses, ou des veuves d’un prince ou d’un roi célèbre.

Je crois que son second mari, Henri II Plantagenêt, qui l’aimait éperdument, n’a pas du tout compris ce désir très moderne qu’elle avait de s’occuper des affaires du monde, et particulièrement de la politique.



Quand elle est arrivée au pouvoir, fort tard, en devenant la régente de son fils, Richard Cœur de Lion, elle a montré des qualités exceptionnelles par sa rapidité de jugement, sa subtilité. Elle fût aussi une femme à la fois attirante, sympathique mais néanmoins assez redoutable. Je dois vous la présenter telle qu’elle était.

Il y avait chez elle une grande cruauté.

On peut comprendre cette attitude du fait qu’elle avait souffert d’avoir été mise à l’écart des affaires, particulièrement dans cet immense duché d’Aquitaine qu’elle apportait en dot. L’Aquitaine, son mari s’en occupait. On peut donc la comprendre, sinon l’excuser, mais je ne peux pas tricher avec l’Histoire. Il y a chez elle à côté de qualités sympathiques et très grandes, une non moins grande cruauté.
Aliénor est née en 1122 à Châtellerault, et a été mariée très jeune au roi de France, Louis VII. Elle avait quinze ans.

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En première partie, nous évoquerons son rôle en tant que reine de France, bien qu’elle n’ait pas fait grand-chose à ce titre, mais elle a cependant beaucoup voyagé, fait des escapades et a aussi pas mal trompé son mari. Ce qui n’est pas de la politique, c’est la femme toute crue.

Reine de France de 1137 à 1152, répudiée sous prétexte de parenté, le 18 mars 1152, et remariée le 18 mai suivant avec le beau, Henri Plantagenêt, qui n’était alors que duc de Normandie, mais qui trafiquait dans l’ombre et intriguait pour devenir roi d’Angleterre. 
Deux ans plus tard, en 1154, Éléonore, duchesse de Normandie, était couronnée à Londres, avec son mari, reine d’Angleterre.


Elle porta la couronne d’Angleterre de 1154 à 1189. 

Sur cette longue période, son mari l’a détenue en prison pendant 15 ans, ce qui explique beaucoup de choses. Elle n’a pas été torturée, mais enfin elle fut bien deux fois reine et 15 ans prisonnière.


À la mort du roi, son mari, elle devint régente du royaume d’Angleterre, sans en avoir le titre, au nom de son fils, Richard Cœur de Lion. Elle était âgée de soixante-dix ans, et elle assura la régence de 1189 à 1194. À cette occasion, elle donna toute sa mesure.

Cela veut dire que, comme certaines femmes, elle n’a rien perdu pour attendre. 

D’ailleurs, j’avais moi-même au moins soixante ans quand j’ai fondé cette Mini-Université.

Donc, finalement, il y a des gens qui attendent leur heure. Éléonore l’a attendue longtemps en étant deux fois reine de France puis d’Angleterre, ce qui est vraiment extraordinaire. 

Éléonore était belle, grande, élancée, sympathique, je la suppose blonde, mais je n’en suis pas sûre, très intelligente, ainsi que je l’ai déjà dit.
Mais son roi de France, Louis VII, comment était-il, lui? 


Il semble qu’il ait été plus intelligent que ce qu’il laissât paraître, mais il était un peu falot, très religieux. Il avait de longs cheveux blonds, des yeux bleus, était confit en dévotion et gouvernait avec l’aide des moines, essentiellement avec Geoffroy, évêque de Langres, et le fameux abbé Suger, ancien conseiller et premier ministre de son père, le roi Louis VI le Gros, prieur de l’Abbaye de Saint Denis qui, à ce titre fut à l’origine de la construction dela cathédrale Notre-Dame de Paris.
Aussi disait-elle en parlant de son mari : « J’ai épousé non pas un roi, mais un moine ! »

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L’abbé Suger fut un grand religieux doué d’un sens remarquable de l’art et de l’esthétique, mais qui, comme beaucoup de moines, se montrait assez misogyne. Qu’allait donc faire dans cette galère cette jeune reine de quinze ans ?. 
Cette intrusion dans les affaires d’état ne lui plaisait pas du tout, aussi écrivait-il : « Vivre avec une femme sans danger, est plus difficile que de ressusciter un mort ! »


Eléonore avait donc à lutter contre l’influence des ecclésiastiques entourant son époux et, en particulier, contre l’influence de Bernard de Clairvaux, Bernard de Fontaine, grand réformateur de l’ordre des Bénédictins, fondateur de l’ordre de Cîteaux. Ce grand prédicateur n’admettait pas cette jeune personne sensuelle, fardée, charmante, merveilleuse, mais qu’il ne parvenait pas à apprécier.

Aussi a-t-il vraisemblablement conseillé au roi de veiller à n’accorder aucune importance à Éléonore.

Saint Bernard prêche à Vézelay, en 1146, la deuxième croisade. Le roi Louis VII se croise. Mais Eléonore n’est pas une femme résignée, destinée à rester au foyer. Elle est déjà mère de deux filles, Marie et Alix. Aussi déclare-t-elle aussitôt :
« Mais la Croisade, pourquoi n’irais-je pas ? » 



La voilà donc partie pour la deuxième croisade avec son mari et une armée de chevaliers. Long voyage par mer, alors imaginez l’arrivée dans le Bosphore.

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Elle loge au Palais des Blachernes. Imaginez le choc ressenti par cette jeune occitane cultivée sous la lumière de l’Orient, les couleurs, les parfums et tout le luxe de la civilisation byzantine dont elle va profondément apprécier le charme et la magie. Aussi va-t-elle oublier l’aspect dramatique de la guerre avec la famine, et continuer à jouir de cette révélation orientale.

Elle va en jouir si pleinement qu’elle va retrouver son oncle, Raymond de Poitiers. Parent issu de sa propre branche familiale, chevalier plus âgé qu’elle, mais homme fort séduisant et, entre eux, la courtoisie, la sympathie va se transformer en idylle ; elle en profitera pour tromper largement son époux. Raymond de Poitiers était un homme remarquable, brillant.

Il avait beaucoup guerroyé en Palestine, et était devenu roi d’Antioche. 

Voilà donc le roi Louis VII, à la tête de son armée de chevaliers, qui voit sa femme s’installer à Antioche, en déclarant n’avoir aucune envie de quitter le palais de son oncle ni de repartir. Il ne s’agit pas encore du Saint Sépulcre. Je ne veux pas enlever la grande idée du mouvement des peuples pour la reconquête du tombeau du Christ, mais il faut bien imaginer que tous ces gens voyageaient, ils aimaient le soleil et, comme nous, aimaient les abricots, les orangers dans les feuillages verts.

Il y avait un petit aspect « Club Méditerranée », dans ces croisades, tout au moins pour ceux qui avaient la chance d’appartenir à l’élite, un côté que nous ne devons pas négliger.



Il ne faut pas négliger non plus l’importance de l’armée Franque. Cette puissante armée s’est implantée en Palestine durablement pendant plus de cent ans, gagnant bataille sur bataille. 
Pourquoi ? Comment de tels résultats ? Cette épopée reste un évènement extraordinaire.
Il ne faut pas oublier enfin, quand on pense à l’Europe qui se construit de nos jours, combien cette armée Franque, constituée de contingents, Italiens, Allemands, Français, Espagnols, était exceptionnelle. Ces nombreux bataillons avançaient ensemble. C’était ça l’armée Franque des Croisades. Cette particularité phénoménale ne doit pas être oubliée.

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Notre très charmante Éléonore est très contente de vivre sous le soleil d’Orient, si satisfaite qu’elle ne veut pas bouger. Certains d’entre vous ont dû se rendre dans le Péloponnèse. Je vous rappelle que, lorsqu’on arrive à Sparte, alors que l’on s’attend à trouver une ville grecque, c’est une ville médiévale, Mistra, que l’on découvre. Une cité telle que Villehardouin l’a construite et décrite dans ses chroniques.
Ils sont restés à Antioche, ils se sont plu, elle tout particulièrement. Alors le ménage royal commence à aller mal. 



J’ai lu beaucoup de manuscrits, car à cause d’une conférence que j’ai faite ici, il y a plusieurs années, ce sont des documents authentiques que j’ai eus en main. Dans ces documents, elle déclarait à son royal époux : « Non seulement j’ai épousé non pas un roi mais un moine, mais de plus vous ne valez pas plus qu’une poire blette, donc j’y suis, j’y reste ». 



Décidément, elle ne veut pas quitter son Raymond, et le roi de France est furieux. On commence à parler d’annulation de mariage.



Louis VII se rembarque seul avec son escorte pour s’occuper de son royaume, craignant toujours que la Normandie s’agrandisse au détriment du royaume de France. 
Il ne faut pas oublier que le royaume de France est, à l’époque, un petit royaume, alors que le royaume Plantagenêt est un empire. Aussi Louis VII n’avait-t-il pas tort d’aller voir ce qui s’y passait. Il quitte la Palestine, et débarque en Calabre. 



De son côté, Éléonore se décide enfin au retour, mais elle prend un long chemin et son bateau fait naufrage. Imaginez ce qu’il fallait de courage à l’époque pour s’engager à la voile sur la Méditerranée. C’est une mer qui n’est pas toujours commode. Son navire fait naufrage au large de Messine, et elle est capturée par des bateaux grecs. En fait, elle ne fait pas exactement naufrage, mais son bateau, drossé par le vent, est pris par des marins grecs. Surgit alors un chevalier Français, Roger de Sicile, qui la sauve en lui offrant l’hospitalité à Palerme.

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Ce long voyage maritime de la jeune reine de France a commencé par Constantinople, il s’est poursuivi à Antioche où elle est restée presque un an, puis Palerme où elle se trouve aussi très bien. Elle n’a toujours pas l’intention de poursuivre un voyage périlleux. Cependant, elle se décide, et en France, à son retour, le roi lui fait comprendre qu’elle lui a donné deux filles mais aucun héritier mâle.

Une procédure d’annulation de leur mariage va donc être engagée à la satisfaction réciproque des deux époux.

Les juristes insistent sur les liens de consanguinité, et à cette époque, les annulations s’obtenaient fréquemment pour de telles raisons. Cette pratique de l’annulation du mariage s’approchait un peu d’un système de divorce et, dans le cas présent, il n’y eut aucune complication. L’annulation fut prononcée au concile de Beaugency, le 11 mars 1152.

Alors débute la deuxième idylle, par ce que je suppose qu’avec son oncle, Raymond de Poitiers et avec Roger de Sicile, elle avait dû être assez tendre, bien que les documents de l’époque n’en parlent pas.

Eléonore n’avait qu’une vingtaine d’années, était fort belle et passait pour sensuelle. Ce côté-là comptait pour elle, et son brave, Louis l’ennuyait à périr avec tous ces moines autour de lui. Le roi ne menait pas une vie joyeuse, tandis qu’elle appréciait la « dolce vita ».

Je ne crois pas exagérer en la décrivant ainsi.
 
Donc, l’annulation est effective, mais, quelques mois auparavant, Éléonore, avait rencontré, à un conseil où elle assistait en tant que reine de France, le bel Henri Plantagenêt. Il était duc de Normandie et assistait au conseil avec son père, Geoffroy d’Anjou Plantagenêt, qui portait une branche de genêt sur sa toque.

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De ces Plantagenêt, trois seulement sont importants : Geoffroy, Henri II et Richard Cœur de Lion, son fils, roi d’Angleterre. Ce sont des personnages intéressants, violents, d’excellents hommes de guerre, mais aussi de grands artistes. Plus tard, dans la dynastie anglaise des Tudor (1485 – 1603), on retrouve souvent des personnages à la fois intellectuels, très artistes, mais aussi grands hommes de guerre. 

Henri II Plantagenêt était donc duc de Normandie, son père venant de lui passer le pouvoir. Geoffroy d’Anjou Plantagenêt ne conservait que les titres de comte d’Anjou, du Maine et du Perche.

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Cet homme avait fait un mariage exceptionnel. Il avait épousé Mathilda, petite-fille de Guillaume le Conquérant, elle-même veuve de l’Empereur d’Allemagne. Il n’était pas rare, à l’époque, que la veuve d’un empereur épouse un grand seigneur. La notion de patrie était à peu près inexistante à cette époque. Ceux qui comptaient étaient les grands seigneurs, les feudataires, tous très gourmands, constamment occupés à agrandir leurs domaines, leurs duchés ou leurs comtés. Finalement, un duc d’Aquitaine ou un comte du Maine, pour la veuve de l’Empereur d’Allemagne, c’était pratiquement la même chose. Tous étaient des personnages importants.

Reste l’éternelle histoire du roi de France, qui va avoir beaucoup de peine à établir son autorité sur les grands barons, dont Geoffroy d’Anjou qui, par son mariage avec Mathilda, vient de saisir la Normandie dans sa poigne. Mais, en homme astucieux, Geoffroy pense qu’il a intérêt à se retirer, et passe ce territoire de Normandie à son fils, alors âgé de 19 ans.

Henri II Plantagenêt avait donc 19 ans, Éléonore en avait 28, et ce fut le coup de foudre. À peine quatre mois après l’annulation, le mariage du siècle.

De nombreuses descriptions montrent Henri Plantagenêt, dont la beauté avait dû frapper les gens de l’époque. Il était roux, grand, dynamique, avec de gros yeux bleus très saillants, un visage avec des taches de rousseur, une chevelure abondante. Ce jeune homme passait aussi pour très cultivé, poète.

Tout le monde parlait le latin, le provençal et le français. Mais, ni l’un ni l’autre de ces futurs roi et reine d’Angleterre, ne parlait anglais. À la longue, après sa captivité, Éléonore, a fini par parler anglais. Mais elle y a mis du temps. Il convient de remarquer que le latin était encore une langue vivante, et que le provençal a bien failli dominer le français.

C’est donc le coup de foudre. Henri lui paraît sympathique et redoutable à la fois, très dynamique, toujours en selle. On l’appelait, Henry « Curt Mantle », Henri à la courte cape angevine. Il faut bien voir que ce sont des personnes qui descendent d’une forte lignée, qui ont des racines dans ce qui va devenir la France.

Le mariage d’Henri et Éléonore est célébré à Poitiers en 1152.

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Aussitôt, elle s’empresse de créer une université à Poitiers. Elle y attire le fameux troubadour, Bernard de Ventadour. Par la suite, dans toutes ses résidences, elle va réunir des groupes d’intellectuels, de poètes et de musiciens. On peut comprendre que son mari, en même temps qu’il lui faisait à peu près un enfant toutes les années et demie, ait pu penser qu’elle était suffisamment occupée par la tenue de ces cours d’amour. Mais elle, ce qu’elle voulait c’était le pouvoir. Sa préoccupation était politique. Traiter de politique étrangère, c’était aussi régner.



Finalement, les Normands avaient abandonné au roi de France, Gisors et le Vexin, ce qui représentait une bonne petite partie du territoire. C’est la région où j’habite, une petite partie de la Normandie où s’était installé le Conquérant. 



Pourquoi un abandon aussi facile ? Parce que le duc voulait avoir les mains libres et jouer les intrigues afin de devenir roi d’Angleterre. Quand on est duc de Normandie et que l’on est âgé de 19 ans, il n’est pas sûr que l’on puisse devenir roi d’Angleterre. Le roi d’Angleterre s’appelait Stephen, et lui aussi descendait du Conquérant par une femme qui s’appelait Adele, fille du Conquérant. Il disposait donc d’un droit sur le trône d’Angleterre. Mais le jeune duc de Normandie avait lui aussi un droit venant de sa grand-mère, Mathilde. Mais cela restait discutable.
 


Aussi, avec beaucoup d’habileté, il n’a demandé qu’un accord, car le roi Stephen avait un fils, Eustache, qui pouvait prétendre au trône d’Angleterre. Cependant, la chance sourit à Henri II Plantagenêt. Eustache se promène dans la forêt de Lyons, près de Gisors, et il s’étrangle en mangeant une anguille. Fatal accident ! Mais, pour Henri Plantagenêt, ce n’est pas triste du tout, car au décès du roi d’Angleterre, qui avait paraphé cet accord, c’est lui qui est devenu roi. 



Henri et Eléonore ont été couronnés roi et reine d’Angleterre à Londres, le 19 décembre 1154.

Voilà Éléonore reine d’Angleterre. Elle aimait son mari qui était jeune et très beau, elle aimait la puissance, la pompe, et elle a dû avoir un moment de joie intense.

Mais, lorsque l’on aime le pouvoir et la politique, et qu’en tant que reine de France on a surtout été occupée à tromper son mari, quand on devient reine d’Angleterre ce n’est pas uniquement pour présider une cour d’amour. Car, bien entendu, elle a fondé une cour d’amour à Londres. Elle ne pouvait pas vivre hors d’une atmosphère intellectuelle, mais ce qui l’intéressait, en vérité, c’était la politique. 



Il nous faut revenir sur Henri Plantagenêt, qui avait pris en main la dot de son épouse, le Poitou et l’Aquitaine, et ses territoires étaient immenses, avec la Normandie, le Maine, l’Anjou et donc l’Aquitaine qui comprenait le Béarn, le pays Basque, le Bordelais, la Gascogne, le Berry et la Guyenne et j’en passe. 

Cet immense empire allait donc des Pyrénées à l’Écosse.
 
Henri Plantagenêt avait déjà essayé de traiter avec le roi d’Écosse.


Qu’était le petit royaume de France à côté de cet immense Empire ? 
Ne disait-on pas, en parlant d’Henri II, qu’il était le plus grand monarque du monde occidental, « The greatest ruler of the western world », alors qu’il ne parlait pas un mot d’anglais. 

À l’inverse de tous les grands seigneurs de l’époque, qui s’appliquaient à faire fructifier leurs domaines, leurs terres, les vignes, les blés alors que les gens qui travaillaient pour eux n’étaient pas leur principal souci, la grandeur d’Henri Plantagenêt est d’avoir été attentif aux individus. 

Il s’intéressait aux gens, à ses gens surtout.

Une telle attitude qui, aujourd’hui, paraît évidente, ne l’était pas à cette époque. En Angleterre, Henri Plantagenêt est devenu très populaire, et ce qui est curieux dans cette histoire, c’est que finalement cet Angevin a acquit une grande popularité en Angleterre, parce qu’il attachait autant d’importance aux nobles, tout en s’en méfiant, qu’aux ecclésiastiques, aux intellectuels et aussi aux laboureurs.
Paysans-smallC’est ce qui a fait sa force, ce qui l’a rendu populaire, qui l’a fait aimer, bien considéré en Angleterre, alors qu’il sera toujours discuté en Normandie. Terriblement discuté par sa femme, par ses fils et par les Normands, qui n’ont pas le caractère facile, et parce que, par derrière, il y a des intrigues qui reviennent de France. Il faut reconnaître que, ce qui fait la grandeur de ce petit royaume de France, c’est sa pugnacité, cette ardeur dans la lutte pour gagner ville après ville. 



En fin de compte, ce sera à qui dominera, et de l’Empire Normando-Angevin, il ne restera rien. Les Normands se sont montrés très durs pour Henri II Plantagenêt. 
Les Anglais ont été plutôt amicaux, bien que leur roi ait été parfois assez dur envers eux. Entre autres mesures sévères, il a voulu, tout de suite, supprimer les forteresses baronniales, faire un peu ce que Richelieu réalisera plus tard en France en faisant raser nombre de châteaux. 



La grande terreur d’Henri II, c’était tous ces barons qui se considéraient comme ses égaux. Le grand drame du règne d’Henri II, c’est que le clergé ne payait pas d’impôt de succession et que, de ce fait, il disposait de beaucoup d’argent. Henri voulait saisir cet argent et le mettre dans les finances du royaume d’Angleterre. 

Longtemps il a lutté contre ce que l’on a appelé, « benefit of the clergy ».

Cet épisode de la lutte contre l’église a pris des aspects dramatiques, mais, avant, je voudrais vous dire qu’il fut l’un des premiers à s’intéresser à l’Irlande. Il a conquis l’Irlande et en a distribué une bonne partie des terres aux barons Normands. C’est pour cela qu’il reste un lien profond, un lien celte, avec la Bretagne, mais aussi un lien de possession des barons Normands en Irlande.

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Henri II Thomas Becket

Ce qui a été dramatique pour Henri II, c’est qu’il se soit heurté à son ami très cher, le fameux Thomas Becket. Thomas était archevêque de Canterbury, bien qu’il ne fût pas prêtre. Le roi l’avait élevé à cette dignité parce que c’était un ami et un conseiller particulièrement intelligent, bien que d’extraction populaire.
 
Becket, un bénédictin, a été admirable parce que, seul, il a résisté au roi pour défendre l’église. 
« Je suis prêt à servir le roi de toutes les manières sauf quand il s’agit de l’honneur de Dieu, de l’église romaine et aussi de notre ordre », a-t-il dit.

Cette lutte a été illustrée par une pièce de Jean Anouilh, « Meurtre dans la cathédrale ». Il reste à l’honneur de Becket d’avoir résisté au roi qui était son ami. Ce qui est par contre atroce, et presque un tort, c’est que le roi n’a pas ordonné le meurtre.
 
Il a simplement dit, alors qu’il était en Normandie :
« Je ne comprends pas que les gens qui m’entourent n’aient pas encore compris que je me laisse railler par ce clerc de basse extraction » 
Il a suffit de cette phrase pour que six chevaliers traversent la Manche, le Chanel, et aillent l’assassiner dans sa cathédrale.

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On rapporte que Beckett aurait dit en mourant : « Oh roi, vous allez encourir la vengeance du Dieu tout-puissant ».



Effectivement, après le meurtre de Becket, la fortune, qui avait souri à Henri II Plantagenêt, va se dégrader rapidement à cause d’Éléonore. 



C’est une histoire assez tragique, mais c’est de la politique et c’est la vie. Il y avait tout un effet politique, comme actuellement. La politique, c’est essayer par ses intrigues à agrandir, à contester. Alors, les Normands avaient envie d’être bien avec le roi de France, et le roi de France a besoin d’être bien avec eux pour que, à la faveur d’un héritage, il parvienne à obtenir une ville ou un morceau de terroir en plus. 



Il y avait eu des fiançailles très prématurées entre le fils aîné d’Éléonore et d’Henri Plantagenêt, donc un Anglais, le prince qui serait le futur roi d’Angleterre, car un précédent fils s’était noyé. Il y avait beaucoup d’accidents. On a donc fiancé ce garçon avec Marguerite de France, fille de Louis VII et de Constance de Castille, sa seconde épouse. 



Louis VII, roi de France, marié deux fois, n’a que des filles, et aucun garçon. Cette petite princesse, comtesse du Vexin, âgée de trois ans, a été fiancée à Henri, prince de Galles, bien que ce titre n’existât pas à l’époque, dans la petite ville de Neuf Marché, dont j’ai été maire, et à côté de laquelle j’habite. La cérémonie des fiançailles s’est déroulée dans la belle église romane, les deux enfants étaient âgés de trois ans et cinq ans. C’était un effort d’union entre la France et la Normandie.



Nous terminons là avec Henri II Plantagenêt, qui fut un génie politique et un grand homme de guerre mais qui a commis un geste dramatique en laissant assassiner Thomas Becket, et cela d’une manière très injuste, car je pense qu’il y aurait eu possibilité de se tirer de cette affaire, autrement que par un assassinat. 



Que faisait Éléonore pendant ce temps ?



Elle s’occupait de sa cour d’amour, et je pense qu’elle disposait de beaucoup d’aide pour élever ses enfants. Elle a éprouvé beaucoup de joie à la naissance de sa première fille, qu’elle a eu avec Louis VII, et qui est devenue, Marie de Champagne, une brillante intellectuelle qui a joué un rôle important dans ces fameuses, cours d’amour.



Eléonore, un petit peu désolée de l’Angleterre, était repartie à Poitiers, et organisait des soirées musicales au château de Maubergeon. 



Henri ne pensait qu’assez peu à elle, ne la tenait au courant de rien. Il traversait le Chanel pour aller en Aquitaine, repartir vers l’Écosse, revenir en Normandie, toujours très occupé, aussi ne se rendait-il pas compte que sa femme rongeait son frein. En fait, cette fille, belle et intelligente, avait le sentiment d’être mise à l’écart des affaires du royaume.
 


Dans l’état d’esprit de l’époque, on peut ne pas en vouloir à Henri II pour cette attitude, mais il manquait certainement de sens psychologique. Il n’avait pas vu que cette femme, belle et coquette, mère de famille et intellectuelle, tenait aussi à son Aquitaine.
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Pensez qu’elle lui avait apporté sur un plateau un tiers de son royaume, et que c’était « son » Aquitaine. Imaginez qu’elle n’était absolument pas tenue au courant d’un pays auquel elle tenait profondément. Son Aquitaine qu’elle aimait, on ne lui en parlait jamais. Elle ignorait ce qui s’y passait. Aussi, peu à peu, dans sa tête intelligente et claire, lui est venue l’idée de comploter contre son mari avec l’aide de ses fils. En plus, il la trompait avec une très belle personne du nom de Rosamund Clifford.

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Eléonore et Rosamund Clifford

Voilà donc qu’avec son intelligence, son premier acte politique, peu glorieux, fut de monter un complot contre son mari et d’y réussir, plus exactement de paraître avoir échoué, mais en fin de compte de réussir. 


Elle allait loin, je pense, et je me dois de vous la montrer telle qu’elle fût. Elle ne voulait pas faire un petit complot pour qu’il se rende compte qu’elle existait et partager le pouvoir avec elle. En réalité, elle désirait ébranler le pouvoir suffisamment pour le détrôner et s’emparer du royaume. Ses fils étaient jeunes et dynamiques. Il y avait celui que l’on avait marié très jeune et qui s’appelait Henry III, un autre qui s’appelait Geoffroy et qui avait été piétiné par un cheval, et William qui avait péri noyé. Il restait, donc Henry, Richard, le brillant Richard Cœur de Lion, l’enfant adoré par sa mère, et le dernier, John, le fameux Jean Sans Terre (John Lackland). 



On avait alors distribué les territoires du royaume en accordant, à celui qui serait roi, Henry, la Normandie, le Perche, l’Anjou et l’Angleterre, en donnant l’Aquitaine à Richard, et pour John, peut-être une petite influence en Irlande, et pas de terre. 

John qui était le favori de son père se trouvait frustré. Cependant, l’idée du complot leur plaisait, et ce qui est devenu dramatique c’est que, finalement, ils se sont tous unis avec le roi de France qui n’avait qu’une idée, celle de comploter pour récupérer le maximum de la Normandie. 

Aussi se sont-ils dressés contre le roi. Ce fut une terrible mais courte vengeance. Les comploteurs ont tenté de mettre l’Angleterre dans le coup, mais les Anglais, toujours fidèles à leur roi, n’ont pas bougé. Par contre, les Normands ont eux beaucoup bougé, et finalement on s’est demandé où ça s’arrêterait. Dans son intelligence, Éléonore a réussi à convertir, contre le roi d’Angleterre, William Le Lion qui était roi d’Écosse.

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William Le Lion, roi d'Écosse


Donc l’Écosse marchait contre Henri II, pas vraiment l’Angleterre, mais tous les barons normands plus les trois fils étaient aussi contre lui. La situation devenait dramatique, et le roi n’avait pas pensé que la reine trempait dans ce complot. Il l’a su assez tardivement. Cela se passait en l’an 1173 et, un beau jour, autour de Chartres, on a vu de nobles seigneurs chevaucher, à califourchon, déguisée en noble seigneur, il y avait Éléonore.
Elle a été arrêtée avec les hommes d’armes qui chevauchaient avec elle et emprisonnée à Chinon. Puis, de Chinon, elle a été transportée à Winchester dans le Sud-Est de l’Angleterre et, par la suite, à Old Sarum où elle est restée jusqu’en 1189.

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Old Sarum

Le roi Henri II l’a maintenue prisonnière pendant tout ce temps, et n’a jamais voulu entendre parler de divorce. Sa personnalité était suffisamment forte pour que personne ne s’insurge. 


Elle n’était pas torturée, menait une vie assez pauvre, et de temps en temps, dans les grandes occasions, il la faisait revenir. Par exemple, pour un mariage, avec tous les honneurs, et puis après elle retournait en prison. Il y avait de quoi être amère, mais lui-même avait bien de quoi être amer. 



Cette triste situation permettait à Éléonore de faire de la musique, d’écrire des poèmes, mais elle n’avait plus la possibilité de présider des Cours d’Amour. Elle était prisonnière. Et là, Henri II, en remarquable chef d’état, a fini par gagner sur ses fils la victoire de Forham, fin octobre 1173. Elle reste donc en captivité, tandis que lui se réconcilie avec ses fils. Il semble avoir tout gagné et, en 1179, on tire Éléonore de sa prison pour assister à l’installation comme duc d’Aquitaine de son cher fils Richard Cœur de Lion. 



Pour l’instant, tout semble aller au mieux. Henri II est réconcilié avec ses fils, il a repris son royaume en main. Mais il ne compte pas avec la subtilité féminine et, de sa prison, Éléonore tire encore les ficelles. D’une manière très prudente, très insidieuse, elle va parvenir à ronger l’influence de son mari par rapport à ses fils et, à la fin, c’est bien elle qui va triompher et lui qui va mourir vaincu et abandonné. Et, surtout, abandonné de celui qu’il aimait le plus, le fameux Jean Sans Terre.



Il est difficile de retrouver des preuves, mais il semble qu’Éléonore ait eu des intelligences un peu partout, qu’elle savait dire le bon mot au bon moment, qu’elle avait une passion pour ce fils, Richard Cœur de Lion, qui en vérité était remarquable, et qu’en fait, leur père avait bien laissé des apanages à ses fils, mais ne leur déléguait aucun pouvoir. Pour que cet immense Empire tienne, il fallait à sa tête un monarque absolu, une unité du commandement. D’où la difficulté. Soit il donnait à ses fils une délégation et c’était un peu la dispersion, - c’est le problème avec l’Europe que nous connaissons actuellement-, mais il n’a pas su être très ferme et ne leur accorder que l’apparence du pouvoir, soit leur donner un pouvoir véritable et se retirer. 



Il ne s’est pas comporté en monarque absolu, il ne leur a pas donné un vrai pouvoir, tout le monde était dans l’aigreur, dans l’amertume et, surtout, le paysage politique avait changé avec la mort du roi de France, Louis VII, et finalement, par son troisième mariage avec Isabelle de Champagne, ce brave Louis VII avait réussi à avoir un héritier mâle.

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Philippe Auguste

Cet héritier est Philippe Auguste. Et Philippe Auguste fut un grand roi. Il ne gouverne pas avec les moines, il n’est pas pâle et évanescent, il ne dissimule pas son intelligence, il est présent, courtaud, rapide, coriace, il en veut, et il veut surtout avoir la Normandie. 


Du jour où Philippe Auguste rentre en jeu, il comprend immédiatement en quoi consiste le double jeu : être bien avec le duc de Normandie, et être bien, en dessous, avec la reine d’Angleterre, prisonnière et toujours duchesse d’Aquitaine. 


Il essaie de jouer ce double jeu. Entre les démarches et intrigues insidieuses d’Éléonore et des menées violentes, mais habiles, de Philippe Auguste, la Normandie est peu à peu grignotée, et le pouvoir d’Henri II trébuche. 



Un triste évènement survient en 1183. Le prince, qui avait été couronné roi d’Angleterre avec sa femme, Marguerite de France, va mourir très jeune, un peu comme un saint, couché sur un lit de cendres. 



Éléonore est alors revenue auprès de son mari. Elle y est restée deux ans, avant de repartir dans sa prison. Finalement, quand Henri II a appris que, dans ce complot, l’un des plus actif avait été son fils préféré, Jean Sans Terre, il s’est laissé glisser. 


« Je ne tiens plus à rien dans ce monde », a-t-il dit.



Il est mort dans la tristesse et l’abandon. Il est enterré à l’abbaye de Fontevrault, comme Éléonore et Richard.

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Abbaye de Fontevrault

L’abbaye de Fontevrault a des liens avec la ville de Boulogne-Billancourt qui a une maison de vacances à Fontevrault. 

Il est mort tristement en disant : « Honte à un roi vaincu ».



Nous sommes le 6 Juillet 1189. Éléonore n’attend pas d’être libérée, elle se libère elle-même, et part à la rencontre de Richard Cœur de Lion, son fils.

Nous arrivons à la troisième partie. 

Vous avez vu Éléonore reine de France, reine d’Angleterre, captive et, maintenant, pendant quatre ans, de 1190 à 1194, voilà Eléonore qui, sans qu’on le dise, va devenir régente.



Elle aime passionnément son fils Richard, qui ne lui donnera jamais le titre de régente mais, quand il va être couronné en septembre 1189, elle sera assise pas très loin. Tout le monde saura qu’elle n’est pas la reine d’Angleterre, mais qu’elle est la reine des Anglais. 



Il est écrit dans le texte « Queen of the English ».

Elle a soixante-sept ans, et elle assiste à ce couronnement comme c’était à elle-même, à celui d’un souverain dans toute sa gloire.
 
Tout le monde a compris qu’elle était liée à ce fils, liée par le cœur et par l’esprit. On a même parlé d’inceste, mais vous savez qu’à notre époque, on recherche des perversions de ce genre. 

Lui était vraisemblablement homosexuel, et il est certain qu’entre cette mère et ce fils existait un lien très fort de tendresse et de complicité dans le pouvoir. C’est ce que l’on peut dire.

Il n’y avait aucune jalousie entre eux. Ce qui est important, c’est qu’elle l’ait aidé de toutes ses forces et de manière remarquable. 

Richard règne avec sa mère comme conseillère, et elle eut l’intelligence de lui suggérer d’unir à la fois les poids, les mesures, et les monnaies dans le royaume. Mesure intelligente. Il paraît que Cléopâtre était aussi très bonne pour les questions de réformes et de gestion. 

Bientôt, il va obtenir la totalité du pouvoir car une nouvelle croisade se prépare, et Richard Cœur de Lion décide de partir en Palestine.

Il y va avec d’autant plus d’intelligence que, depuis le meurtre de Thomas Becket qui avait provoqué un scandale dans la chrétienté, Thomas Becket étant devenu l’un des plus grands saints d’Angleterre. 

L’Angleterre, à ce moment-là, était tout entière catholique. Le schisme anglican est plus tardif. Il était resté une sorte de flétrissure aux yeux de tous les peuples occidentaux devant ce meurtre. 

Richard Cœur de Lion pense que c’est une manière de se dédouaner que de partir pour la croisade.

Si l’Angleterre participe à la croisade, on ne pourra pas dire qu’il refuse de guerroyer pour le tombeau du Christ. Il part donc à la croisade avec Frédéric Barberousse et Philippe Auguste lui-même. Mais, oh ! chance pour le pouvoir politique, Frédéric Barberousse se noie dans une rivière d’Arménie. 

Donc il ne reste que la France et l’Angleterre, Philipe Auguste et Richard qui cheminent vers la Terre Sainte.

Mais on chemine en prenant son temps. Philippe Auguste descend par la botte Italienne. Quant à Richard Cœur de Lion, il est énervé car il ne voit pas sa flotte. Il l’attend à Marseille, mais elle ne vient pas. Elle avait eu de mauvais vents, et était restée au Portugal. Qu’à cela ne tienne : « Moi je descends aussi par la botte Italienne », dit-il. Il trouve l’incident agréable et retrouve sa flotte à Messine, en Sicile, dont la reine était sa sœur, Joanna.

Alienor5-smallSur les huit enfants d’Eléonore, il y avait trois filles. L’une était reine d’Espagne, l’autre Joanna, reine de Sicile, qui était poursuivie par un chevalier Normand, Tancrède de Hauteville, qui voulait lui prendre ses états. Mais elle avait mobilisé des Grecs, et Richard Cœur de Lion n’aimait pas les Grecs. Il les appelait « les griffons ». Aussi, en excellent chef de guerre, il donne une piquette aux Grecs à Messine et libère sa sœur. Mais puisque Philippe Auguste est là avec son armée, on a encore bien le temps d’aller au tombeau du Christ. Richard se décide à passer un hiver à Messineavec Philippe Auguste. Les deux jeunes rois s’entendent assez bien.

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Philippe et Richard

Puis, c’est le mariage du roi d’Angleterre, et ce n’est pas un épisode moins compliqué. Toujours l’alliance franco-normande avec l’idée, qu’un jour, la France tirera le magot à elle. 
C’est le raisonnement de Philippe Auguste qui est très Normand. Á la cour de France, il y avait une sœur, de nombreuses filles, Marie et Alix, filles d’Éléonore et de Louis VII, puis deux filles deConstance de Castille, Adélaïde de France, et la fameuse Marguerite, qui avait été reine d’Angleterre
Donc Adélaïde était disponible. Pourquoi n’épouserait-elle pas Richard Cœur de Lion ? On avait parlé de fiançailles. Mais c’était sans compter sur Éléonore, qui détestait toute la descendance de Louis VII. Elle ne voulait pas de cette Adélaïde. Coup du sort, elle arrive et elle tient par la peau du cou une autre fiancée, Bérengère de Navarre, qu’elle est allée chercher en Espagne. 
« Voilà, mon fils, c’est celle que tu vas épouser », dit-elle.
 Philippe Auguste n’approuve pas ce choix qui est un soufflet pour la France.
Serait-on au bord de la guerre ? Mais il fait beau, il y a du bon vin, de jolies femmes, la situation se calme.
Philippe Auguste se remet en marche vers le tombeau du Christ, tandis qu’Éléonore en profite pour rendre visite au Pape.
Eléonore a voyagé beaucoup. Elle est allé en Navarre pour ramener Bérengère, elle laisse un petit peu de temps pour les fiançailles, revient et assiste à un mariage magnifique à Limassol, dans l’île de Chypre, avec tout le luxe possible, les brocards, les vins et probablement le Calvados, s’il y en avait déjà à l’époque. Finalement, Eléonore est très satisfaite d’avoir placé la pauvre Bérengère, dont on n’entendra plus parler et qui ne sera jamais couronnée reine d’Angleterre, ce qu’elle est officiellement. Éléonore regagne l’Angleterre pour s’occuper des affaires du royaume, laissant son fils sur place. 
Richard Cœur de Lion est extrêmement brillant, bien meilleur guerrier que Philippe Auguste. D’ailleurs,Philippe Auguste n’était venu là que pour montrer qu’il était bien là. Mais il n’avait qu’une idée, celle de renter pour voir ce qui se passait entre la Normandie, l’Angleterre et la France. 

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Pendant ce temps, Richard a pris Acre très brillament et remporté une grande victoire sur Saladin, à Arsouf, le 13 septembre 1191.

Saladin

Philippe Auguste éprouve de la jalousie devant les succès de Richard qui, de plus, avait beaucoup de charme, et réembarque pour la France. Ce qui est inquiétant. Nous sommes en juillet 1191. Que va-t-il faire en France ? Alors que le roi d’Angleterre reste en Palestine, et que son royaume est gouverné par une femme, une régente, âgée de soixante-dix ans.
Richard Cœur de Lion n’est pas tranquille dans cette situation. Il en profite pour se tailler une gloire extraordinaire parmi les pays du Moyen-Orient, où il y avait des Philistins mais pas d’Israéliens à cette époque. 

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Richard est aimé, et l’on parle encore de lui en Arabie, car lorsqu’on évoque le nom de Richard, ça fait pleurer les enfants. Voilà ce que l’on dit quand les enfants ne sont pas sages : « Richard va venir, Richard va te faire quelque chose ! », et ça calme les chevaux. Ce sont des Arabes qui m’ont raconté ça.
Pourquoi cet homme, qui a une aura exceptionnelle, ne prend-t-il pas Jérusalem ? 
Prendre Jérusalem est à sa portée mais, en fin politique, il se dit : « Si je prends Jérusalem seul, que va dire Philippe Auguste ? ». Il négocie donc. Il obtient des autorités le droit pour les pèlerins catholiques d’arriver à Jérusalem sans encombre, mais il ne prend pas Jérusalem.
Il se réembarque le 9 octobre 1192 pour rentrer en Normandie et en Angleterre, et soudain on ne sait plus rien, plus de nouvelles : Richard a disparu ! 

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C’est vraiment un film, cette aventure. Il n’y avait pas Internet. Il avait disparu sans laisser de trace.
C’est alors le grand moment de gloire d’Éléonore, qui va se trouver dans une situation extrêmement difficile.

Philippe Auguste n’a qu’une idée, c’est de mettre la main sur la Normandie. L’Angleterre n’est gouvernée que par elle, et qu’est devenu le roi ? Est-il mort ? Dans cette situation, elle s’empresse de pousser des cris d’orfraie auprès du Pape et auprès du roi de France en disant que nul n’avait le droit d’attaquer les terres d’un croisé, ni de renter en Normandie, car tout croisé est sous la protection du pape et a droit à l’immunité, et que cette immunité était violée. 
Tout cela pour empêcher Philippe Auguste d’entrer en Normandie. Mais ce qui était plus dramatique encore se passait en Angleterre.
La bourgeoisie anglaise a extorqué à Jean Sans Terre la fameuse Magna Carta, qui est à la naissance du pouvoir démocratique.

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Magna Carta

De ce fait, c’est un personnage très important, mais, à mon avis, c’est un sale type. Que dit-il ? 
« Richard est mort ! Il est mort, il faut que je sois couronné tout de suite ». 
Que va faire sa mère ? Eh bien, elle ne palabre pas avec son fils. Elle le laisse à ses intrigues et, immédiatement, elle lève une milice qu’elle déploie à la frontière de la Manche, craignant un débarquement de Philippe Auguste. 


Puis, elle essaie de régner au mieux, et trouve des hommes assez remarquables : Hubert Walter, le nouvel archevêque de Canterbury, Pierre de Blois, voyez ce mélange de Français et d’Anglais, et Walter de Coutances. Ce sont ces hommes qui s’occupent de la garde côtière le long du Chanel. Enfin, coup de théâtre, Hubert Walter retrouve Richard prisonnier en Autriche.
Qu’était-il arrivé à Richard ? Sur une mer déchaînée, son bateau avait été drossé et accompagné par des bateaux grecs qui voulaient s’en emparer. Finalement, il avait fait naufrage devant Trieste.

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Richard, qui était un original, un peu poète, un peu artiste, s’était déguisé, et s’était fait appeler Hugo.Il parcourait le pays en étant cuisinier tournebroche. 
Ce n’était qu’un tournant dans sa vie. Il n’était plus roi, il était lui-même.

Mais ça n’a pas duré. Il s’est fait reprendre à Jamna, près de Vienne, sur le Danube, et il a été emprisonné par le ducLéopold d’Autriche, dans le château de Durstein. 



Mais nous sommes au Moyen-Âge, et le droit du suzerain l’emporte toujours sur celui du vassal. Léopold d’Autriche, qui était aussi un ennemi de Richard, parce qu’ils étaient ensemble à la croisade et ne s’entendaient pas, est obligé de livrer son prisonnier à l’Empereur d’Allemagne, Henri VI, très cruel et mégalomane, qui déteste Richard. Il s’en empare et le garde en prison à Spire, en Franconie, et en demande une rançon de cent mille marks. 



C’est le moment où Éléonore se déploie. En un temps record, elle trouve en Angleterre la rançon, et elle se propose de partir sur les routes enneigées de l’Allemagne, en plein hiver, porter la rançon à Spire pour libérer son fils. 
Mais avant, elle s’adresse au pape de sa plume la plus vitriolique, le pape étant toujours et encore maintenant une autorité supra nationale. 


Elle lui écrit : « Les croisés étaient libres d’aller et de venir à leur gré, leur immunité et la trêve de Dieu ont été violées par l’incarcération de mon fils. J’ai perdu le soutien de ma vieillesse, la lumière de mes yeux ». 

Elle arrive à Spire où une espèce de cour est dressée, et le roi d’Angleterre va y être jugé parce qu’il est accusé de violence contre le roi de France à la croisade. Mais Richard se défend avec tant d’habileté qu’il finit par fasciner tout le monde, et les choses se passent plutôt bien.

Il séduit aussi tout le monde parce qu’il écrit des poèmes qu’il joue sur sa guitare. Ces poèmes s’appellent des rotruenges. Ces « rotruenges » se terminaient par un leitmotiv : « Peut-être êtes-vous gentils avec moi, mais encore suis-je pris ». 



Mais là, drame ! Philippe Auguste et Jean sans Terre, qui n’a rien obtenu, essaient d’agir sur l’Empereur d’Allemagne pour atermoyer. Ils disent : « Oui, mais il ne faut peut-être pas le garder en prison encore. Il y a la rançon peut-être, mais malgré tout il est bien arrogant » 

Éléonore se dit : « J’apporte la rançon et l’on ne va pas le libérer ? » 
Alors, par un subterfuge très féminin, elle lui suggère de rendre hommage à l’Empereur d’Allemagne « En mettant vos mains dans les siennes et si, pour vous, c’est une humiliation de mettre vos mains dans les mains de l’Empereur d’Allemagne, eh bien mettez-y votre chapeau en cuir ». C’est ce qu’il a fait, et il a été libéré. 

C’est la gloire d’Éléonore.

Elle a sauvé l’Angleterre, elle a sauvé la Normandie, elle a surtout sauvé son fils. 
Le 11 février 1194, Richard est libéré, et la mère et son fils descendent le Rhin vers son embouchure pour traverser le Chanel, et être accueillis triomphalement à Sandwich. Richard est alors couronné une deuxième fois à Westminster, parce que l’on n’est jamais entièrement sûr des gens.

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Richard Coeur de Lion Westminster

Et tout le monde sait que, assise dans le fauteuil, c’est tout de même Éléonore qui a sauvé tout ce monde. Là où je trouve qu’elle est grande, c’est au moment où, après avoir libéré Richard et lui avoir rendu son royaume, elle s’éloigne. Elle va à Fontevrault, qui était son abbaye, où elle vit dans le calme, très fière de son fils qui devient un grand roi.

Pendant ce temps, Philippe Auguste avait pratiquement annexé la Normandie.

C’est alors une bataille très célèbre à Corcelles Lès Gisors, en 1198, proche du lieu où j’habite, où Richard bat Philippe Auguste. Les choses sont claires, et il reprend la Normandie. Seigneur brillant, il est sur le point de devenir un grand roi d’Angleterre. Mais c’est le coup du sort. 
Il est tué devant Châlus, à quarante et un ans, pour une histoire stupide, et c’est ça le drame de sa vie. 

On avait trouvé un trésor gallo-romain.

Et n’oubliez pas qu’il est duc d’Aquitaine, et qu’à ce titre, il s’intéresse à cette partie de la France. On avait donc trouvé là un trésor gallo- romain très beau et, comme il était très artiste, il y avait un bas-relief très intéressant qu’il voulait absolument avoir. D’après la loi française, on partageait entre le découvreur et le roi. Mais, d’après la loi Normande, on donnait tout au duc de Normandie. Richard n’a pas voulu accepter le partage de ce trésor et a assiégé Châlus. Le seigneur Achard de Châlus, dans le domaine duquel on avait découvert le trésor, avait donné le bas-relief à son suzerain, Aymar de Limoges.

D’où la guerre à Châlus entre Aymar de Limoges et Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, duc d’Aquitaine, qui reçoit à l’épaule une flèche. C’est la gangrène. Il périt pour une histoire de trésor qu’il n’avait pas voulu partager.

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Tombeau de Richard Coeur de Lion

Il meurt dans les bras de sa mère le 6 avril 1199. Pour elle, et pour tous, c’est la catastrophe, comme pour la Normandie qui va être annexée. 
Immense est le navrement d’Éléonore qui perd son fils tant aimé, dont elle est si proche par le cœur et par l’esprit. 

Mais, avant de mourir, à quatre-vingts ans, elle trouve encore la force d’aller en Castille, chercher sa petite fille, Blanche de Castille, qui va épouser, Louis VIII, roi de France. Blanche de Castille sera la mère de Saint Louis, Louis IX.

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Blanche de Castille et Saint Louis

Éléonore aimait beaucoup rechercher des fiancées. Elle va en Castille, toujours à cheval et par des chemins très difficiles, et la ramène en France. Et vous savez que Blanche de Castille sera aussi une très grande régente. On pourrait dire qu’elle avait de qui tenir.

Pour conclure, ma réflexion sera relative à la personnalité d’Éléonore.
A mon avis, elle est à la fois très sympathique et très cruelle. Elle vit dans une époque de violence et de cruauté, mais l’on ne peut pas dire que la nôtre ne le soit pas aussi. D’une certaine manière, on peut comprendre son attitude du fait qu’elle a beaucoup souffert d’avoir été écartée du pouvoir. 
Il est difficile de lui pardonner ce complot dramatique, mais Henri Plantagenêt aussi s’est montré dur en la tenant emprisonnée pendant de nombreuses années, et il a payé ce meurtre public de Beckett par la perte de son pouvoir. Tout cela est tragique.
Néanmoins, il reste l’image d’une femme intelligente, dynamique, ayant le sens du pouvoir, et, somme toute, sympathique malgré, certainement, une assez grande cruauté. Elle me semble très moderne, et je trouve que l’histoire de toutes ces intrigues, cette France qui veut grandir et cet immense Empire qui n’arrive pas à trouver son unité, également de cette Allemagne qui est en pleine transformation, c’est très proche aussi de ce que nous vivons avec cette Europe qui veut se construire cahin-caha, avec beaucoup de difficultés parce qu’il y a des hommes avec leurs caractères et bien d’autres complications. 



Mais une reine prisonnière pendant quinze ans, c’est triste. Le meurtre d’un homme qui va devenir un saint, ce n’est pas moins triste. Et, en même temps, on ne peut pas ne pas admirer ce mouvement des rois de France qui, peu à peu, sont parvenus à faire notre unité avec lenteur. 



Comment ne pas être admiratif devant le charme d’Éléonore ? Elle est intelligente, artiste, profondément elle-même, très féminine, à la fois sensuelle, cette Eve avec ses dangers, et tout ce qu’elle apporte à la vie politique.
Alors, qu’était la vie politique, pour une femme au douzième siècle ? Vraisemblablement le champ était très mince. Si elle y est arrivée, c’est qu’elle a épousé le bon Plantagenêt.
Mais, avec le roi de France, elle était reine de France, ipso facto, et, pour les femmes, la voie était très étroite.

Certaines femmes avaient parfois des compétences très grandes.

Je ne prétends pas que les femmes puissent être meilleures que les hommes en politique, mais qu’elles peuvent jouer un rôle en apportant, avec leur féminité, une autre vision du monde. 
Si vous regardez actuellement, la porte s’entrouvre pour les femmes en politique, mais elle ne fait que s’entrouvrir. Quand vous voyez les grandes réunions à l’OTAN, il n’y a que des hommes et, de temps en temps, une femme comme Madame Thatcher ou bien Madame Golda Meir.
Il y a de l’espoir. Éléonore trace le chemin, elle est sympathique par son dynamisme et par sa modernité, vivante, humaine subtile, courageuse. 


Une femme !

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