FORUM
UNIVERSITAIRE
DE
L' OUEST-
PARISIEN

logo-DEPT-HDS-w

 

Nouveau :

facebook-icon

De l'expansion à l'isolationnisme

Le mardi 17 octobre 2006

par Claude FOHLEN
Professeur émérite Université Panthéon Sorbonne 

Les fondements de l’hégémonie américaine sont déjà bien établis dans les premières années du XXème siècle, quoique le centre du monde demeure encore en Europe. 

C’est la Grande Guerre qui va faire basculer l’équilibre en donnant aux États-Unis un rôle décisif dans la victoire des Alliés, avec toutes ses conséquences, en particulier au plan financier, un volet qui leur manquait jusque là. C’est également l’Europe qui leur fournit le tremplin pour conforter leur hégémonie dans deux autres domaines, monétaire et stratégique, à l’issue de leur intervention dans la seconde guerre mondiale. 
Malgré les apparences, la ligne de conduite des États-Unis est loin d’être linéaire. Disons qu’elle est pour le moins sinueuse, car le débat continue entre les partisans de la tradition de Washington et Monroe, et les adeptes de l’ouverture sur le monde extérieur, stimulés par les progrès de la technique. L’aviation favorise le rapprochement entre les continents : le premier vol commercial transatlantique est inauguré par la Pan American en 1938, Franklin Delano Roosevelt est le premier président à s’adresser par radio à ses concitoyens, la TV fait ses débuts.

De ce contexte se dégagent trois phases :
- celle des hésitations, qui se termine avec l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, le 7 décembre 1941;
- celle des grandes initiatives en vue d’assurer la paix dans le monde et le triomphe de la démocratie;
- celle des premières désillusions et des débuts de la guerre froide.

Pont USA-small

1 – LES HESITATIONS D'UNE JEUNE PUISSANCE


Après être intervenus à plusieurs reprises dans les Caraïbes et en Amérique centrale pour défendre leurs intérêts, les États-Unis avaient évité d’interférer dans les conflits en Europe. 

Le déclenchement des hostilités en 1914 les laissa d’abord d’autant plus indifférents que leurs sympathies étaient largement partagées entre leurs liens historiques avec la Grande-Bretagne (en dépit de la présence d’une forte minorité irlandaise qui soutenait le séparatisme de l’île), et d’une importante immigration allemande, consciente de sa force. S’ils éprouvaient des sympathies pour les démocraties occidentales et de la méfiance pour les empires centraux, ils détestaient en particulier la Russie tsariste, responsable des pogroms. Ils n’avaient donc aucune velléité d’intervenir dans un conflit spécifique de la vieille Europe. 

Cependant, au fur et à mesure de la prolongation de ce conflit, ils s’y trouvèrent impliqués malgré eux, attirés dans un guet-apens à la suite des implications financières et navales.

D’abord, dans le domaine financier. La France, suivie par l’Angleterre, eut de plus en plus recours au marché financier américain pour soutenir son effort de guerre par des emprunts, afin de pouvoir acheter armements et munitions dont elle était privée du fait de la perte des mines et usines du Nord. Alors qu’ils étaient jusque là leur débiteur, les États-Unis se trouvèrent ainsi rapidement placés dans la position de créanciers à l’égard des Alliés, pour des sommes considérables. Le marché financier américain était désormais lié à l’Europe, et , réciproquement, l’Europe à l’Amérique.

Mais la menace la plus immédiate venait d’ailleurs, de la guerre sous-marine menée par l’Allemagne, qui posait directement la question des droits des neutres dans ce conflit. Or leur neutralité, à laquelle ils étaient très attachés, à la fois pour leurs approvisionnements et la sécurité de leurs citoyens, fut violée par plusieurs attaques successives, la plus meurtrière étant celle contre le paquebot britannique Lusitania, coulé en 1915 sans sommations en mer d’Irlande, faisant 128 victimes américaines. L’intensification de la guerre sous-marine menée par les Allemands en 1917, au mépris des conventions internationales, eut pour conséquence d’entraîner les États-Unis dans la guerre aux côtés des Alliés.

Lusitania-small

Le Lusitania

Ce sont les Américains qui imposèrent leurs conditions de paix en Europe, d’une façon tout à fait inhabituelle, étant les seuls Alliés à avoir défini les buts de guerre dans la Déclaration des 14 points de Wilson, au début de 1918 : fin de la diplomatie secrète, liberté des mers, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, création d’une Société des Nations

Le contenu en est typiquement américain, avec tout ce qu’il contient d’idéalisme et de méconnaissance de l’Europe. Et, contrairement à toutes les traditions qui voulaient que le Président ne quitte jamais son pays, Wilson vint en France au début de 1919 et y séjourna pendant près de six mois afin de participer en personne aux négociations, puis à la signature du traité de Versailles. On sait ce qu’il en advint : le Sénat américain se vit refuser par le Président les amendements qu’il réclamait, si bien que le traité fut repoussé et que les États-Unis signèrent une paix séparée avec l’Allemagne en refusant surtout d’adhérer à la Société des Nations.

Il ne s’agissait, en fait, que d’un isolationnisme relatif, destiné à satisfaire l’opinion américaine, car jamais les États-Unis ne furent aussi présents en Europe, non pas au plan politique, mais économique et financier. La question des dettes contractées par les Alliés, qui s’élevait à plusieurs MM$, domina leurs relations avec l’Europe, en donnant lieu à un malentendu permanent : les Européens liaient leur remboursement au paiement des Réparations imposées à l’Allemagne, tandis que les Américains y voyaient deux problèmes différents. Ils firent prévaloir leurs vues dans deux plans successifs, Dawes en 1924, Young en 1929, dont les initiateurs étaient tous deux américains, sans grands résultats, puisque le président Hoover proclama un moratoire des Réparations et des dettes en 1931 et que la conférence de Lausanne, en 1932, mit fin aux Réparations, sans d’ailleurs en faire autant pour les dettes.

Hoover-small JMKeynes-small

Hoover et Keynes

Pendant ce temps, les capitaux américains affluèrent en Europe, en participant activement à sa reconstruction, particulièrement en Allemagne qu’ils tenaient à relever. Il leur paraissait en effet essentiel de rétablir l’équilibre sur le continent, dans le sillage de Keynes qui avait durement critiqué le traité de Versailles comme ruineux pour l’avenir de l’économie allemande (Les conséquences économiques de la paix, 1919). 

Ces investissements furent particulièrement massifs dans l’électricité (General Electric), l’automobile (General Motors avec Opel, Ford), les transports…, tout en n’oubliant pas les autres pays européens, eux aussi en quête de capitaux. On assiste alors au premier stade de la mondialisation de l’économie, avec une tentative, sous la tutelle des Américains, d’internationaliser les contrôles bancaires, comme en témoigne la création de la Banque des Règlements internationaux, chargée de gérer le remboursement des dettes.

Les États-Unis ont ainsi acquis une position dominante dans les relations économiques internationales en Europe, tout en réussissant à éviter tout engagement politique, fidèles en cela à leur refus d’adhérer à la Société des Nations. Ils ne furent pas partie prenante du pacte de Locarno entre la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie, qui garantissait les frontières occidentales de l’Allemagne, mais signèrent le pacte Briand-Kellogg sur le maintien du statu quo en Europe en 1928, signature qui n’impliquait d’ailleurs aucun engagement direct.

crise-1929-small

Crise de 1929

La position des États-Unis demeure donc ambivalente, entre refus de tout engagement politique, et participation très active aux activités économiques, financières et bancaires. Il importe ainsi de nuancer très fortement la notion d’isolationnisme, qui cache une réalité tout à faite différente. Cette ambivalence est levée par la suite des évènements, qui traduisent les conséquences de la crise économique de 1929 : les États-Unis se replient alors totalement sur eux-mêmes, en donnant une priorité absolue à la sortie de crise.

Ainsi, la conférence économique réunie à Londres en 1933 à l’initiative de la SDN, avec leur participation, a été torpillée par un ultimatum de Roosevelt, qui venait d’être élu président : “… La conférence a été décidée et convoquée pour discuter et élaborer des solutions permanentes en matière d’économie mondiale et non pour discuter de la politique économique d’une des 66 nations représentées…” Ces conditions n’étant pas remplies, les États-Unis se sont retirés de la conférence, qui a capoté.

Ils se cantonnent désormais dans une attitude de stricte neutralité, le terme officiellement affiché, mais là encore, il faut relativiser. Un après l’autre, à l’exception de la “petite Finlande”, les États débiteurs répudient leurs dettes, à commencer par la France, le plus mauvais payeur. Certes, ils ne participent plus aux affaires européennes, tant politiques qu’économiques, laissant le champ libre aux dictatures. Ils n’en restent pas inactifs pour autant, reconnaissant l’URSS, signant des accords avec les États prêts à leur consentir des avantages commerciaux réciproques, renforçant leurs liens avec l’Amérique latine, assouplissant leurs relations avec Cuba et les Philippines. Ils sont surtout attentifs à ce qui se passe en Asie, où les inquiètent les turbulences et surtout la politique agressive du Japon en Mandchourie (Mandchoukouo) et en Chine. Les dangers de la situation dans le Pacifique l’emportent alors sur le danger que représentent les régimes totalitaires en Europe. 

D’où ce retranchement dans une neutralité affichée et ponctuée par une série de mesures annuelles au cours des années 30 : les États-Unis multiplient les garde-fous pour éviter d’être entraînés dans un conflit en une quelconque partie du monde, tout en renforçant leurs armements, surtout navals. Pour la 1première fois, depuis leur engagement dans la Première Guerre Mondiale, il s’agit d’un véritable repli sur eux-mêmes, non pas pour des raisons idéologiques, mais parce qu’ils sont enlisés dans une dépression économique dont ils ne parviennent pas à sortir. En plus ils éprouvent un ressentiment profond à l’égard des puissances européennes, et surtout de la France, dont ils estiment qu’elles n’ont pas été fair play à leur égard au lendemain de leur intervention en 1917. Les premiers sondages d’opinion par Gallup, qui font alors leur apparition, montrent bien ces tendances neutralistes (le premier sondage Gallup date de 1936 et prédisait la victoire de Roosevelt aux élections, contre toute prévision). Désormais les sondages jouent un rôle important dans la politique américaine.


2 – L'ENGAGEMENT
Au début des années 40, cette attitude se modifie radicalement sous l’influence de deux évènements : 
la défaite de la France en 1940. Les Américains sont surpris et atterrés face à la débâcle de l’armée française, dans laquelle ils avaient placé tous leurs espoirs. Désormais l’Angleterre constitue le seul pôle de résistance en Europe, sans paraître de taille à s’opposer à l’Allemagne. Si les Américains n’éprouvent aucune sympathie pour le régime hitlérien, il faut toujours tenir compte de la présence d’une forte minorité allemande et de la persistance d’un courant neutraliste d’autant plus influent qu’il est soutenu par des hommes très populaires, comme Charles Lindbergh, le héros du Spirit of St-Louis. Sans s’engager directement, les États-Unis multiplient cependant un soutien aux Alliés, par des mesures comme le cash and carry, le land lease, ou le secours apporté à l’URSS après le déclenchement de l’opération Barbarossa en 1941.

Spirit-StLouis-small

Charles Lindbergh et le Spirit of St-Louis

Pearl Harbor. L’attaque surprise de l’aviation japonaise contre cette base navale, le 7 décembre 1941, alors que des pourparlers étaient encore en cours, anéantit une grande partie de la flotte et de l’aviation américaines, en faisant plus de 2000 victimes parmi les marins. Cet acte brutal réussit à retourner l’opinion et à entraîner automatiquement les États-Unis dans la Deuxième Guerre Mondiale, en leur assignant dès le début le rôle moteur dans la coalition. Si s’impose une guerre sur deux fronts et se pose le dilemme de savoir lequel privilégier, la réponse est immédiate : l’Europe. D’où s’ensuit une nouvelle configuration du monde imaginée par les Américains.

P-Harbor-small

Pearl Harbor


La pax americana. 
La victoire sur les dictatures européennes et le Japon a conforté l’hégémonie américaine, même si elle est alors partagée avec l’URSS, l’autre vainqueur. Ce qui la renforce, ce sont les cadres mis en place par les États-Unis pour assurer la gouvernance du monde

Ils sont de quatre natures : 
politiques. Les grandes lignes en ont été tracées dans la charte de l’Atlantique, avant même l’entrée en guerre des États-Unis, dès 1941 : “… Les États-Unis et le Royaume Uni … (s’engagent à libérer) les peules de la peur et de la misère (et) recherchent la paix… par l’intermédiaire d’une organisation internationale qui donnera à tous les États les moyens de vivre en sécurité à l’intérieur de leurs frontières… en attendant l’établissement d’un système de sécurité général et permanent..” 
Ce programme assez vague s’est peu à peu précisé au cours des conférences interalliées, dont celles de Téhéran et Yalta. C‘est à Dumbarton Oaks (Georgetown), en 1944 que le projet se précise, avec ses 3 échelons : assemblée générale, conseil de sécurité, secrétariat général. Et c’est à San Francisco que naissent les Nations Unies, en avril 1945, peu après la mort de Franklin Delano Roosevelt, en présence de son successeur, Harry Truman, et des représentants de 50 nations. Le conseil de sécurité est composé de 15 membres, dont 5 permanents, États-Unis, Royaume Uni, URSS, Chine et France, seuls pourvus du droit de veto, et 6 élus pour un an. L’ONU comprend aussi des organisations annexes : UNESCO (United Nations Educational Scientific and Cultural Organization), OMS, OIT, OMC…Son siège est fixé symboliquement à New York, symbolisant ainsi la prépondérance des États-Unis..

Truman-small

Truman

économiques et financiers. Les États-Unis vivaient dans la crainte d’un retour à la crise de 29, dont ils attribuaient la cause à l’absence d’une coopération économique internationale (échec de la conférence de Londres). Déjà dans la charte de l’Atlantique, il était envisagé une coopération économique entre les nations, la liberté des mers et celle des échanges internationaux. Influencés par Keynes, qui a joué un rôle majeur dans l’élaboration de ces institutions, ils ont réuni un groupe d’experts à Bretton Woods (New Hampshire), à qui Roosevelt adresse ce message : “Le commerce est le sang d’une société libre… Nous devons veiller à ce que les artères qui transmettent ce sang ne se bouchent pas à nouveau”

Il en est résulté la création de deux institutions : 
* - le FMI (Fonds Monétaire International), chargé d’assurer la stabilité des monnaies et des changes, par abandon définitif du gold standard, au profit du dollar;
* - la Banque Mondiale, destinée à aider les pays pauvres en leur offrant des capitaux.
Ces deux institutions ont leur siège à Washington, et les États-Unis en sont les principaux actionnaires.
Ainsi était assurée l’hégémonie économique et financière des États-Unis.

Hiroshima-small

Hiroshima

stratégiques. Pour conforter leur supériorité militaire, les États-Unis ont en recours à la bombe atomique, utilisée contre le Japon à Hiroshima (6 août 1945) et Nagasaki, tout en étant destinée à intimider l’URSS. C’était l‘aboutissement d’un long processus (projet Manhattan) qui réunit, aux côtés des Américains, l’élite des savants étrangers émigrés aux États-Unis (danois, italien, allemand, anglais, français). Si son utilisation a été très controversée, il n’en reste pas moins que, pour les États-Unis, posséder et conserver le monopole de la bombe était essentiel pour assurer leur sécurité.

culturels. Cet arsenal fut complété en 1949 par la proposition du sénateur Fulbright de consacrer les bénéfices de la vente des surplus de guerre au financement d’échanges culturels internationaux destinés à faire mieux connaître aux Américains les pays étrangers, et réciproquement. Ainsi s’instaura un courant d’échanges, les bourses Fulbright, qui contribuèrent à rapprocher les élites des divers continents.

3 – LES PERPLEXITÉS D'UNE GRANDE PUISSANCE

L’hégémonie ainsi assurée par la victoire militaire, diplomatique et politique à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale était fragile et fut rapidement remise en question par une série d’évènements inattendus. Les États-Unis avaient misé sur le triomphe de la démocratie dans une Europe libérée, de même qu’en Extrême-Orient. Or il n’en fut rien, car ils furent confrontés à la poussée du communisme, qui s’implanta progressivement en Europe centrale et orientale, de même que dans le Sud-Est de l’Asie. 

Il importait donc de trouver une parade à ce nouveau défi, dont le signal est donné par :
le discours de Churchill à Fulton, en mars 1946, déclarant qu’un rideau de fer était tombé sur l’Europe.
le blocus de Berlin en 1948, entraînant la mise en place d’un pont aérien. 
la perte du monopole de la bombe atomique, l’URSS ayant fait exploser sa bombe en septembre 1949. 
la guerre de Corée en 1950, qui, au lendemain de la victoire de Mao en Chine, fait craindre une extension du communisme dans toute l’Asie du Sud-Est.

Churchill-small

Churchill
(photographie de Yousuf Karsh - 1941)

On entre dans la période de la guerre froide. Qui va se prolonger jusque dans les années 80. Il faut donc trouver des solutions nouvelles pour conforter l’hégémonie.

Les dirigeants américains sont partagés sur la ligne de conduite à suivre, entre deux attitudes : 
- le roll back, autrement dit le refoulement du communisme par la force pour les chasser hors de leurs bastions, ce qui suppose un affrontement militaire. 
le containment, l’endiguement du communisme, par des aides aux pays menacés et la présence de troupes américaines pour préserver le statu quo.

Le débat est lancé par George Kennan, diplomate à Moscou et politologue, qui définit la position américaine dans la guerre froide dans un article de la revue Foreign Affairs, signé X, en 1947. C’est la seconde attitude qui va être adoptée au cours des deux décennies suivantes pour orienter la politique américaine, avec des réponses significatives.

a – Le plan Marshall

En juin 1947, à Harvard, le secrétaire d’État, George Marshall, annonce un plan d’aide à l’Europe, destiné à lui permettre de retrouver la prospérité économique.
“Il est normal que les États-Unis fassent tout pour favoriser le retour à une santé normale de l’Europe, sans quoi il n’y a pas de stabilité politique ni de sécurité… Notre politique n’est dirigée contre aucune doctrine ni pays, mais contre la faim, la pauvreté, le désespoir et le chaos… Notre rôle devrait consister à aider l’Europe à élaborer un tel programme et ensuite à le soutenir aussi loin que nous pourrons effectivement le faire”
En contrepartie, l’Europe devait promouvoir des efforts vers son unité.

Plan-Marshall-small

L’initiative était ainsi laissée à l’Europe, qui invita les États à une conférence à Paris, invitation aussitôt refusée par l’URSS, ce qui entraîna le retrait immédiat de la Tchécoslovaquie, suivi de toutes les autres démocraties populaires. Le plan Marshall officialisa la coupure de l’Europe et resserra ses liens avec les États-Unis. Le relèvement rapide de l’Europe de l’Ouest contrasta avec la stagnation de l’Europe de l’Est, malgré le plan de Varsovie lancé par l’URSS. Ce plan fut un succès à la fois économique, car il amorça les Trente Glorieuses, et politique, dans la mesure où il endigua effectivement le communisme, et bien qu’il ait contribué à développer une dialectique antiaméricaine dans les classes populaires et chez les intellectuels fascinés par le marxisme et aveugles à la répression violente des soulèvements de Berlin en 1953, de Budapest en 1956 ou de Prague.

b – La réorientation politique et militaire. 

Pour répondre aux défis de la guerre froide et au danger que représente pour les Américains l’extension du communisme dans le monde, une réorganisation de la défense s’impose :

* le regroupement de toutes les activités militaires dans un organisme unique, le Secrétariat à la Défense, devenu le Pentagone, du nom du bâtiment qui l’abrite à Washington.
* le réorganisation de la sécurité extérieure, avec la création du Conseil national de sécurité (NSC), chargé de coordonner tous les problèmes liés à la sécurité des États-Unis, et le regroupement du renseignement extérieur dans le Central Intelligence Agency (CIA, “coordonner & évaluer les renseignements relatifs à la sécurité des États-Unis”), héritière de l’OSS du temps de guerre (Office of Strategic Services) et pendant du FBI (Edgar Hoover) chargé de la sécurité intérieure. On ne peut que constater le rôle grandissant de la CIA dans la sphère politique.
* le resserrement des liens avec l’Europe dans le cadre de la politique de containment, avec la création de l’OTAN en 1949 (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), entraînant la formation d’un ”commandement intégré” entre Américains et Européens, qui impliquait le réarmement de l’Allemagne, consécutif à la naissance de la RFA en 1949.
* pour conforter leur supériorité stratégique, les États-Unis se lancent en 1950 dans l’expérimentation de la bombe A à hydrogène, amorçant ainsi le début d’une course aux armements avec l'URSS, qui l’acquiert à son tour.

Parce que le choix d’une politique de containment implique une attitude défensive, les Américains multiplient leur présence sur tous les terrains. Ainsi, ils développent leurs bases navales et militaires un peu partout, ce qui entraîne une militarisation de la société, totalement inconnue auparavant, si bien qu’ils se trouvent engagés sur les divers fronts où progresse le communisme, en Europe, en Corée, au Vietnam, avec des succès mitigés.

Ils encouragent en particulier l’unité européenne, qui représente à leurs yeux un prolongement de l’OTAN et ouvre des perspectives financières et commerciales dans un marché unifié et largement ouvert à la concurrence. Leur diplomatie déploie un activisme tous azimuts, dû à la présence de John Foster Dulles à la tête du Secrétariat d’État de 1954 à 1959. Il se signale par sa “pactomanie”, qui consiste à signer des accords en Europe (NATO), Asie (SEATO), (South Eastern Asia Treaty Organization), Pacifique, afin de préserver le statu quo là où il semblait menacé par le communisme. 

Les États-Unis sont ainsi délibérément engagés dans une politique. mondiale, qui ne connaît pas toujours le succès. Deux échecs flagrants doivent être signalés dans des domaines différents :

Homme-Lune-small

- d’une part, ils sont devancés dans la course à l’espace par l’URSS, qui lance avec succès son spoutnik en 1957, engendrant aux États-Unis des réactions très vives débouchant sur une réflexion sur les causes de leur infériorité en matière de recherche et les déficiences de leur système éducatif. Mais leur riposte est rapide : ils lancent des projets ambitieux, confiés à un nouvel organisme, la NASA (National Aeronautics and Space Administration), dont la mission est la conquête de l’espace et l’envoi de l’homme sur la lune. Après plusieurs échecs, il faut attendre 1969, avec l’alunissage de trois cosmonautes, Armstrong, Aldrin et Collins, qui plantent le drapeau américain sur la Lune, pour couronner la supériorité des États-Unis dans le domaine spatial.

Castro-Che-small

Fidel Castro et Che Guevara

- de l’autre, au plan politique, l’échec le plus cuisant est le renversement de leur protégé, Batista, à Cuba, remplacé par Fidel Castro qui, après une période de flottement et de maladresses de la part des États-Unis, se rapproche de Moscou et menace directement le continent par les facilités militaires accordées aux Soviétiques. Or, Cuba a toujours été considérée comme un bastion avancé indispensable à la sécurité américaine. L’échec du débarquement dans la Baie des Cochons, en 1961 et la crise déclenchée en 1962 par la découverte de fusées soviétiques en cours d’installation témoignent des dangers potentiels de cette situation. Il a fallu toute la fermeté et surtout le sang-froid de John Fitzgerald Kennedy, pour éviter une confrontation qui aurait pu déboucher sur un affrontement nucléaire. Mais la menace demeure permanente, comme une épée de Damoclès.

JFK-small

John Fitzgerald Kennedy


CONCLUSION

De ce qui précède, on peut tirer trois conclusions.

La première, c’est qu’après des allers et retours, confrontés à la conjoncture internationale, les États-Unis ont définitivement rompu avec la ligne traditionnelle qu’ils s’étaient fixés. 
La seconde, c’est qu’ils ont assis leur hégémonie en profitant de l’effondrement de l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale et jeté les bases d’un monde nouveau fondé sur un certain nombre d’institutions politiques, financières et stratégiques dont ils sont les inspirateurs. 
La troisième, c’est que ces institutions n’ont pas donné les résultats espérés, car ce monde n‘est pas celui qu’ils avaient imaginé. D’où les écueils sur lesquels ils ont buté dès le début de la guerre froide et sur lesquels ils butent encore, comme le montrent les crises récentes en Amérique latine, dans les Caraïbes, au Proche-Orient et en Asie du Sud-Est.

Si l’hégémonie américaine a réussi à se maintenir au cours des décennies de la guerre froide, c’est au prix d’une redéfinition complète de ses buts et de ses moyens, compte tenu des changements survenus dans le monde. 
Certes, les interrogations sur l’isolationnisme qui s’exprimaient encore pendant la Seconde Guerre Mondiale sont définitivement abandonnées, tandis que les États-Unis ont pris conscience, dans la continuité de leur tradition, de la nécessité d’assumer une mission, celle de défendre la démocratie contre le communisme, là où il était le moins attendu, en Europe et en Asie. 
Loin de désarmer, comme ils le souhaitaient au lendemain de leur victoire en 1945, ils ont été obligés de faire un effort militaire sans précédent, tout en menant une diplomatie très active et surtout novatrice, qui en fait une puissance mondiale, ce qui ne va pas sans responsabilités et sans risques, comme on vient de le voir.

Lincoln-small

Abraham Lincoln (par Daniel Chester)


Attention : Cette conférence ne doit pas être reproduite sans autorisation de l'auteur