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Forum Universitaire                                                           Jacqueline Maroy                             Année 2016-2017

Textes du séminaire 2                                                                                                             Le 12 octobre2016

Texte 1

Johann Wolfgang von Goethe – Les Souffrances du jeune Werther Poche page 84

J’étais depuis une demi-heure livré aux douces et cruelles pensées de l’instant qui nous séparerait de celui qui nous réunirait, lorsque je les entendis monter sur la terrasse. Je courus au-devant d’eux ; je lui pris la main avec un saisissement, et je la baisai. Alors la lune commençait à paraître derrière les buissons des collines. Tout en parlant, nous nous approchions insensiblement du cabinet sombre. Charlotte y entra, et s’assit ; Albert se plaça auprès d’elle, et moi de l’autre côté. Mais mon agitation ne me permit pas de rester en place ; je me levai, je me mis devant elle, fis quelques tours, et me rassis : j’étais dans un état violent. Elle nous fit remarquer le bel effet de la lune qui, à l’extrémité de la charmille, éclairait toute la terrasse : coup d’œil superbe, et d’autant plus frappant, que nous étions environnés d’une obscurité profonde. Nous gardâmes quelque temps le silence ; elle le rompit par ces mots : « Jamais, non, jamais je ne me promène au clair de lune que je ne me rappelle mes parents qui sont décédés, que je ne sois frappée du sentiment de la mort et de l’avenir. Nous renaîtrons (continua-t-elle d’une voix qui exprimait un vif mouvement du cœur) ; mais, Werther, nous retrouverons-nous ? nous reconnaîtrons-nous ? Qu’en pensez-vous ? — Que dites-vous, Charlotte ? répondis-je en lui tendant la main et sentant mes larmes couler. Nous nous reverrons ! En cette vie et en l’autre nous nous reverrons !… » Je ne pus en dire davantage… Wilhelm, fallait-il qu’elle me fit une semblable question, au moment même où je portais dans mon sein une si cruelle séparation !

Texte 2 Rousseau La nouvelle Héloïse III 22

Mais toi, qui es-tu? Qu'as-tu fait? Crois-tu t'excuser sur ton obscurité? Ta faiblesse t'exempte-t-elle de tes devoirs, et pour n'avoir ni nom ni rang dans ta patrie, en es-tu moins soumis à ses lois? Il te sied bien d'oser parler de mourir, tandis que tu dois l'usage de ta vie à tes semblables! Apprends qu'une mort telle que tu la médites est honteuse et furtive; c'est un vol fait au genre humain. Avant de le quitter, rends-lui ce qu'il a fait pour toi. "Mais je ne tiens à rien... je suis inutile au monde..." Philosophe d'un jour! Ignores-tu que tu ne saurais faire un pas sur la terre sans y trouver quelque devoir à remplir, et que tout homme est utile à l'humanité par cela seul qu'il existe?

Écoute-moi, jeune insensé: tu m'es cher, j'ai pitié de tes erreurs. S'il te reste au fond du coeur le moindre sentiment de vertu, viens, que je t'apprenne à aimer la vie. Chaque fois que tu seras tenté d'en sortir, dis en toi-même: "Que je fasse encore une bonne action avant que de mourir." Puis va chercher quelque indigent à secourir, quelque infortuné à consoler, quelque opprimé à défendre. Rapproche de moi les malheureux que mon abord intimide; ne crains d'abuser ni de ma bourse ni de mon crédit; prends, épuise mes biens, fais-moi riche. Si cette considération te retient aujourd'hui, elle te retiendra encore demain, après-demain, toute ta vie. Si elle ne te retient pas, meurs: tu n'es qu'un méchant.

Texte 3 : Johann Wolfgang von Goethe – Les Souffrances du jeune Werther Poche page116

11 septembre. Elle avait été absente quelques jours pour aller chercher Albert à la campagne. Aujourd’hui j’entre dans sa chambre ; elle vient au-devant de moi, et je baisai sa main avec mille joies. Un serin vole du miroir, et se perche sur son épaule. « Un nouvel ami, » dit-elle ; et elle le prit sur sa main. « Il est destiné à mes enfants. II est si joli ! regardez-le. Quand je lui donne du pain, il bat des ailes et becquète si gentiment ! il me baise aussi, voyez. » Lorsqu’elle présenta sa bouche au petit animal, il becqueta dans ses douces lèvres, et il les pressait comme s’il avait pu sentir la félicité dont il jouissait. « Il faut aussi qu’il vous baise, » dit-elle ; et elle approcha l’oiseau de ma bouche. Son petit bec passa des lèvres de Charlotte aux miennes, et ses picotements furent comme un souffle précurseur, un avant-goût de jouissance amoureuse. « Son baiser, dis-je, n’est point tout à fait désintéressé. Il cherche de la nourriture, et s’en va non satisfait d’une vide caresse. — Il mange aussi dans ma bouche, » dit-elle ; et elle lui présenta un peu de mie de pain avec ses lèvres, où je voyais sourire toutes les joies innocentes, tous les plaisirs, toutes les ardeurs d’un amour mutuel. Je détournai le visage. Elle ne devrait pas faire cela ; elle ne devrait pas allumer mon imagination par ces images d’innocence et de félicité célestes ; elle ne devrait pas éveiller mon cœur de ce sommeil où l’indifférence de la vie le berce quelquefois. Mais pourquoi ne le ferait-elle pas ? Elle se fie tellement à moi : elle sait comment je l’aime.

Texte 4 : Thomas Mann CHARLOTTE à Weimar Gallimard page 223

Le jeu de lèvres de Lotte avec son canari, la façon charmante dont l’oiseau les becquète puis de sa bouche vole à celle de l’aimé, sont simultanément indécents et d’une innocence trouble. Joliment réussi, blanc-bec de talent, qui en savait aussi long sur l’art que sur l’amour, et en secret pensait à celui-là quand il s’adonnait à celui-ci, -- jeune Pierrot, déjà prêt à trahir l’amour, la vie et l’humanité au profit de l’art.

Texte 5 Saint-Simon Mémoires Pléiade V page 169 sq. 1715

Un ambassadeur de Perse était arrivé à Charenton, défrayé depuis son débarquement: le roi s'en fit une grande fête, et Pontchartrain lui en fit fort sa cour. Il fut accusé d'avoir créé cette ambassade, en laquelle en effet il ne parut rien de réel, et que toutes les manières de l'ambassadeur démentirent, ainsi que sa misérable suite et la pauvreté des présents qu'il apporta. Nulle instruction ni pouvoir du roi de Perse, ni d'aucun de ses ministres. C'était une espèce d'intendant de province, que le gouverneur chargea de quelques affaires particulières de négoce, que Pontchartrain travestit en ambassadeur, et dont le roi presque seul demeura la dupe. Il fit son entrée le jeudi 7 février à Paris, à cheval, entre le maréchal de Matignon et le baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs, avec lequel il eut souvent des grossièretés de bas marchand; et tant de folles disputes sur le cérémonial avec le maréchal de Matignon, que, dès qu'il l'eut remis à l'hôtel des ambassadeurs extraordinaires, il le laissa là sans l'accompagner dans sa chambre, comme c'est la règle, et s'en alla faire ses plaintes au roi, qui l'approuva en tout, et trouva l'ambassadeur très malappris. Sa suite fut pitoyable. Torcy le fut voir aussitôt. Il s'excusa à lui sur la lune d'alors, qu'il prétendait lui être contraire, de toutes les impertinences qu'il avait faites; et obtint par la même raison de différer sa première audience, contre la règle qui la fixe au surlendemain de l'entrée.

Dans ce même temps, Dippy mourut, qui était interprète du roi pour les langues orientales. Il fallut faire venir un curé d'auprès d'Amboise, qui avait passé plusieurs années en Perse, pour remplacer cet interprète. Il s'en acquitta très bien, et en fut mal récompensé. Le hasard me le fit fort connaître et entretenir. C'était un homme de bien, sage, sensé, qui connaissoit fort les moeurs et le gouvernement de Perse, ainsi que la langue, et qui, par tout ce qu'il vit et connut de cet ambassadeur, auprès duquel il demeura toujours tant qu'il fut à Paris, jugea toujours que l'ambassade était supposée, et l'ambassadeur un marchand de fort peu de chose, fort embarrassé à soutenir son personnage, où tout lui manquait. Le roi, à qui on la donna toujours pour véritable, et qui fut presque le seul de sa cour qui le crut de bonne foi, se trouva extrêmement flatté d'une ambassade de Perse sans se l'être attirée par aucun envoi. Il en parla souvent avec complaisance, et voulut que toute la cour fût de la dernière magnificence le jour de l'audience, qui fut le mardi 19 février; lui-même en donna l'exemple, qui fut suivi avec la plus grande profusion.

On plaça un magnifique trône, élevé de plusieurs marches, dans le bout de la galerie, adossé au salon qui joint l'appartement de la reine, et des gradins à divers étages de bancs des deux côtés de la galerie, superbement ornée ainsi que tout le grand appartement. Les gradins les plus proches du trône étaient pour les dames de la cour, les autres pour les hommes et pour les bayeuses ; mais on n'y laissait entrer hommes ni femmes que fort parés. Le roi prêta une garniture de perles et de diamants au duc du Maine, et une de pierres de couleur au comte de Toulouse. M. le duc d'Orléans avait un habit de velours bleu, brodé en mosaïque, tout chamarré de perles et de diamants, qui remporta le prix de la parure et du bon goût. La maison royale, les princes et princesses du sang et les bâtards s'assemblèrent dans le cabinet du roi.

Les cours, les toits, l'avenue, fourmillaient de monde, à quoi le roi s'amusa fort par ses fenêtres, et y prit grand plaisir en attendant l'ambassadeur, qui arriva sur les onze heures dans les carrosses du roi, avec le maréchal de Matignon et le baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs. Ils montèrent à cheval dans l'avenue, et précédés de la suite de l'ambassadeur, ils vinrent mettre pied à terre dans la grande cour, à l'appartement du colonel des gardes, par le cabinet. Cette suite parut fort misérable en tout, et le prétendu ambassadeur fort embarrassé et fort mal vêtu, les présents au-dessous de rien. Alors le roi, accompagné de ce qui remplissait son cabinet, entra dans la galerie, se fit voir aux dames des gradins; les derniers étaient pour les princesses du sang. Il avait un habit d'étoffe or et noir, avec l'ordre par-dessus, ainsi que le très peu de chevaliers qui le portaient ordinairement dessous; son habit était garni des plus beaux diamants de la couronne, il y en avait pour douze millions cinq cent mille livres; il ployait sous le poids, et parut fort cassé, maigri et très méchant visage. Il se plaça sur le trône, les princes du sang et bâtards debout à ses côtés, qui ne se couvrirent point. On avait ménagé un petit degré et un espace derrière le trône pour Madame et pour Mme la duchesse de Berry qui était dans sa première année de deuil, et pour leurs principales dames. Elles étaient là incognito et fort peu vues, mais voyant et entendant tout. Elles entrèrent et sortirent par l'appartement de la reine, qui n'avait pas été ouvert depuis la mort de Mme la Dauphine. La duchesse de Ventadour était debout à la droite du roi, tenant le roi d'aujourd'hui par la lisière. L'électeur de Bavière était sur le second gradin avec les dames qu'il avait amenées; et le comte de Lusace, c'est-à-dire le prince électeur de Saxe, sur celui de la princesse de Conti, fille de M. le Prince. Coypel, peintre, et Boze, secrétaire de l'Académie des inscriptions, étaient au bas du trône, l'un pour en faire le tableau, l'autre la relation. Pontchartrain n'avait rien oublié pour flatter le roi, lui faire accroire que cette ambassade ramenait l'apogée de son ancienne gloire, en un mot le jouer impudemment pour lui plaire.

Personne déjà n'en était plus la dupe que ce monarque. L'ambassadeur arriva par le grand escalier des ambassadeurs, traversa le grand appartement, et entra dans la galerie par le salon opposé à celui contre lequel le trône était adossé. La splendeur du spectacle acheva de le déconcerter. Il se fâcha une fois ou deux pendant l'audience contre son interprète, et fit soupçonner qu'il entendait un peu le français. Au sortir de l'audience, il fut traité à dîner par les officiers du roi, comme on a accoutumé. Il fut ensuite saluer le roi d'aujourd'hui dans l'appartement de la reine qu'on avait superbement orné, de là voir Pontchartrain et Torcy, où il monta en carrosse pour retourner à Paris.

Texte 6 Montesquieu Les lettres Persanes 1721

Lettre 91 édition La Pléiade

Usbek à Rustan, à Ispahan.

Il paraît ici un personnage travesti en ambassadeur de Perse, qui se joue insolemment des deux plus grands rois du monde. Il apporte au monarque des Français des présents que le nôtre ne saurait donner à un roi d’Irimette ou de Géorgie, et, par sa lâche avarice, il a flétri la majesté des deux empires.

Il s’est rendu ridicule devant un peuple qui prétend être le plus poli de l’Europe, et il a fait dire en Occident que le roi des rois ne domine que sur des barbares.

Il a reçu des honneurs qu’il semblait avoir voulu se faire refuser lui-même, et, comme si la cour de France avait eu plus à cœur la grandeur persane que lui, elle l’a fait paraître avec dignité devant un peuple dont il est le mépris.

Ne dis point ceci à Ispahan : épargne la tête d’un malheureux. Je ne veux pas que nos ministres le punissent de leur propre imprudence et de l’indigne choix qu’ils ont fait.

De Paris, le dernier de la lune de Gemmadi 2,

book Lettres persanes Montesquieu A. Lemerre 1873 Paris C Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu Montesquieu - Lettres persanes II, 1873.djvu/1 7-8  

Lettre 92 éd. La Pléiade

Usbek à Rhédi, à Venise.

Le monarque qui a si longtemps régné n’est plus. Il a bien fait parler des gens pendant sa vie ; tout le monde s’est tu à sa mort. Ferme et courageux dans ce dernier moment, il a paru ne céder qu’au destin. Ainsi mourut le grand Chah Abas, après avoir rempli toute la terre de son nom.

Ne crois pas que ce grand événement n’ait fait faire ici que des réflexions morales. Chacun a pensé à ses affaires, et à prendre ses avantages dans ce changement. Le roi, arrière-petit-fils du monarque défunt, n’ayant que cinq ans, un prince, son oncle, a été déclaré régent du royaume.

Le feu roi avait fait un testament qui bornait l’autorité du régent. Ce prince habile a été au Parlement, et, y exposant tous les droits de sa naissance, il a fait casser la disposition du monarque, qui, voulant se survivre à lui-même, semblait avoir prétendu régner encore après sa mort.

Les parlements ressemblent à ces ruines que l’on foule aux pieds, mais qui rappellent toujours l’idée de quelque temple fameux par l’ancienne religion des peuples. Ils ne se mêlent guère plus que de rendre la justice, et leur autorité est toujours languissante, à moins que quelque conjoncture imprévue ne vienne lui rendre la force et la vie. Ces grands corps ont suivi le destin des choses humaines : ils ont cédé au temps, qui détruit tout, à la corruption des mœurs, qui a tout affaibli, à l’autorité suprême, qui a tout abattu.

Mais le régent, qui a voulu se rendre agréable au peuple, a paru d’abord respecter cette image de la liberté publique, et, comme s’il avait pensé à relever de terre le temple et l’idole, il a voulu qu’on les regardât comme l’appui de la monarchie et le fondement de toute autorité légitime.

De Paris, le 4 de la lune de Rhégeb 1715.