"Marseille"
Yaël Bedjaï (Premier prix)
Marseille, le 1er avril 2002.
Je venais de récupérer la valise sur le filet à bagages quand l'homme au chapeau gris anthracite est entré dans le compartiment. " Vos papiers. Suivez-moi, mademoiselle. " Je m'apprêtai à répondre lorsque je réalisai qu'il était accompagné de deux hommes de la sécurité vêtus d'une combinaison bleu marine. Je vous dis des hommes mais le terme n'est pas tout à fait exact : c'étaient des molosses. Un mètre quatre-vingt-dix et des épaules en portemanteau. Loin de déclencher les rires, ils faisaient peur à voir. L'homme au chapeau gris anthracite, lui, ressemblait à Monsieur Klein*. Nous sommes descendus du train. Le quai était bondé, un brouhaha assourdissant régnait dans la gare. Sans dire un mot et la tête basse, je suivis le policier et ses deux armoires à glace. Terrassée par la honte, les yeux irrémédiablement attirés par le sol, je marchais rapidement avec la simple envie d'échapper au monde entier. " Pas si vite ", fit sèchement l'homme de sa grosse voix. Après un parcours labyrinthique dans la gare, nous arrivâmes devant une porte. Le policier congédia ses acolytes : " Revenez dans deux heures. " Les deux molosses disparurent. Mon inquiétude ne cessait de grandir. L'homme ouvrit la porte qui poussa un gémissement plaintif et nous entrâmes dans une salle lugubre et froide. Celle-ci était presque vide : une table, une chaise, un vélux pour éclairer la pièce. D'un bref signe de tête, l'homme m'ordonna de m'asseoir. Il souleva ma valise, la posa sur la table, fit glisser lentement la fermeture éclair autour du couvercle, et l'ouvrit avec des gestes délicats. Il souleva mes vêtements, les quelques bibelots qu'elle contenait. Je le regardais procéder à l'autopsie de ma pauvre valise. Somme toute, je n'avais rien à cacher. Mais soudain, l'homme au chapeau gris sortit un, puis deux, puis trois petits sachets en plastique transparent contenant une poudre blanche. " Vous savez ce que c'est, mademoiselle ? ". Mon cœur fit un bond violent dans ma poitrine comme si un bélier cherchait à perforer ma cage thoracique. " Ce n'est pas à moi ! " hurlai-je en bondissant de la chaise. Je m'étais présentée comme une victime : mon entourage, mes parents, le lycée, nous mettaient suffisamment en garde contre les désastres causés par la drogue pour que nous ne culpabilisions pas, même sans raison. " Asseyez-vous ! " ordonna-t-il. " Cela ne m'appartient pas ", répétai-je fortement. L'homme posa son regard de corbeau sur moi en m'obligeant à baisser les yeux. Puis, satisfait de sa "victoire ", il tourna la valise face à moi. " C'est bien votre bagage, n'est-ce pas ? ". Je levai la tête et reconnus sans peine mes jeans, ma serviette de toilette ainsi que ma trousse de maquillage contenant, entre autres, des sels de bain. L'homme poussa un soupir puis jeta négligemment un des sachets de sel sur la table avant de me lancer sur un ton grave : " Dis-moi, d'où ça vient, cette drogue, tu peux me le dire ? " Drogue, le mot qui tuait. Cela était vrai. J'avais perdu un cousin qui en avait pris. Avant même d'avoir réalisé que j'étais l'objet d'un malentendu depuis le moment où j'avais été accueillie à la gare par l'homme au chapeau gris anthracite et ses deux molosses, j'eus une pensée pour ce cousin avec qui j'avais partagé des jeux lorsque j'étais une petite fille. Yvan. Il s'appelait Yvan. Un garçon qui avait fait les quatre cents coups*, disaient mes parents. Puis, dans ma tête, commença le pire des cauchemars. L'homme confondait mes sels de bain avec de la drogue. Mes pensées allèrent tout naturellement à mon père et à ma mère qui, s'ils étaient les seuls à pouvoir me tirer d'affaire, ne manqueraient pas, cependant, de me rappeler l'histoire tragique d'Yvan, doutant, à leur tour, ne serait-ce qu'un instant, de mon innocence. Et là, ils me tueraient. C'était certain. " Alors, reprit l'homme de sa voix pierreuse, d'où vient cette drogue ? Qui est le cerveau* de cette opération ? " Le mot " drogue " me fit trembler à nouveau. Plus les minutes passaient, plus mon angoisse augmentait. Je songeais à l'absurdité de ma situation : affreux quiproquo dont je n'avais expérimenté le procédé qu'en cours de français. Le lien que je venais de faire avec ma vie de lycéenne me ramena à la réalité. " Mon oncle* ! Mon oncle ! m'exclamai-je en mettant aussitôt la main devant la bouche, il aura déjà quitté la gare! Laissez-moi partir! " " Doucement, ma belle. Que vient faire ton oncle dans cette affaire ? " Il y eut un silence. Sauter dans un taxi*, fuir l'homme au chapeau gris anthracite. " Décris-moi ton parent, j'envoie mes hommes. " Je tournai la tête sur le côté pour ne pas voir les deux molosses. Quant à mon oncle, je ne l'avais jamais vu. " Tu te moques ! " Alors je fondis en larmes, j'avais perdu tous mes repères. Cette garde à vue m'était devenue insupportable. C'est alors que soudain sensible à mon désarroi, le policier proposa de me restaurer avant d'affronter la réalité. Il fit venir de la nourriture et des liquides. Les deux hommes me servirent des crêpes. Le policier me fit boire une boisson pétillante, sécha mes larmes en me proposant un grand mouchoir propre puis poussa l'assiette jusqu'à moi comme on tente de gagner la confiance d'un animal sauvage, imprévisible, en lui faisant renifler son assiette. Il me sourit, se raidit, me sourit de nouveau puis, sans dire un mot, me proposa un sachet de sucre dans une main, et mes sels de bains dans l'autre. Il se moquait de moi. Je le rabrouai sèchement en lui arrachant le sucre de la main gauche et en battant l'air, de la main droite. Qu'il me rende mes affaires ! Mais plus j'avançais vers lui, plus il reculait. Soudain, il éclata de rire. C'était mon oncle ! .
* titres de films à insérer dans la nouvelle ainsi que le règlement le stipulait
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