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Forum Universitaire                                                               Jacqueline Maroy                            Année   2016-2017

Textes du séminaire 9                                                                                                                  Le 15 mars 2017

Texte 1 : Choderlos de Laclos :  Les liaisons dangereuses (1782)

Lettre XXII   La présidente de Tourvel à Madame de Volanges

Vous serez sans doute bien aise, Madame, de connaître un trait de M. de Valmont, qui contraste beaucoup, ce me semble, avec tous ceux sous lesquels on vous l’a représenté. Il est si pénible de penser désavantageusement de qui que se soit, si fâcheux de ne trouver que des vices chez ceux qui auraient toutes les qualités nécessaires pour faire aimer la vertu ! Enfin vous aimez tant à user d’indulgence, que c’est vous obliger que de vous donner des motifs de revenir sur un jugement rigoureux. M. de Valmont me paraît fondé à espérer cette faveur, je dirais presque cette justice de votre part, & voici sur quoi je le pense.

Il a fait ce matin une de ces courses qui pouvaient faire supposer quelque projet de sa part dans les environs, comme l’idée vous en était venue ; idée que je m’accuse d’avoir saisie peut-être avec trop de vivacité. Heureusement pour lui, & surtout heureusement pour nous, puisque cela nous sauve d’être injustes, un de mes gens devait aller du même côté que lui * ; & c’est par là que ma curiosité répréhensible, mais heureuse, a été satisfaite. Il nous a rapporté que M. de Valmont, ayant trouvé au village de… une malheureuse famille dont on vendait les meubles, faute d’avoir pu payer les impositions, s’était empressé non seulement d’acquitter sur le champ la dette de ces pauvres gens, mais même leur avait donné une somme d’argent assez considérable. Mon domestique a été témoin de cette vertueuse action ; & il m’a rapporté de plus que les paysans, causant entre eux & avec lui, avaient dit qu’un domestique qu’ils ont désigné, & que le mien croit être celui de M. de Valmont, avait pris hier des informations sur ceux des habitants du village qui pouvaient avoir besoin de secours. Si cela est ainsi, ce n’est même plus seulement une compassion passagère, & que l’occasion détermine : c’est le projet formé de faire du bien ; c’est la sollicitude de la bienfaisance ; c’est la plus belle vertu des plus belles âmes ; mais, soit hasard ou projet, c’est toujours une action honnête & louable, & dont le seul récit m’a attendrie jusqu’aux larmes. J’ajouterai de plus, & toujours par justice, que lorsque je lui ai parlé de cette action, de laquelle il ne disait mot, il a commencé par s’en défendre, & a eu l’air d’y mettre si peu de valeur, lorsqu’il en est convenu, que sa modestie en doublait le mérite.

A présent, dites-moi, ma respectable amie, si M. de Valmont est en effet un libertin sans retour, s’il n’est que cela & se conduit ainsi, que restera-t-il aux gens honnêtes ? Quoi ! les méchants partageraient-ils avec les bons le plaisir sacré de la bienfaisance ? Dieu permettrait-il qu’une famille vertueuse reçut, de la main d’un scélérat, des secours dont elle rendrait grâce à sa divine Providence ? & pourrait-il se plaire à entendre des bouches pures répandre leurs bénédictions sur un réprouvé ? Non, j’aime mieux croire que des erreurs, pour être longues, ne sont pas éternelles ; & je ne puis penser que celui qui fait du bien soit l’ennemi de la vertu. M. de Valmont n’est peut-être qu’un exemple de plus du danger des liaisons. Je m’arrête à cette idée qui me plaît. Si, d’une part, elle peut servir à le justifier dans votre esprit, de l’autre, elle me rend de plus en plus précieuse l’amitié tendre qui m’unit à vous pour la vie.

J’ai l’honneur d’être, Madame, etc.

*Madame de Tourvel n’ose donc pas dire que c’était par son ordre

Mme de Rosemonde & moi nous allons, dans l’instant, voir aussi l’honnête & malheureuse famille, & joindre nos secours tardifs à ceux de M. de Valmont. Nous le mènerons avec nous. Nous donnerons au moins à ces bonnes gens le plaisir de revoir leur bienfaiteur ; c’est, je crois, tout ce qu’il nous a laissé à faire.

De…, ce 20 août 17…

Texte 2 Choderlos de Laclos : les liaisons dangereuses (1782)

Lettre X De la Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont au château de…                

Me boudez-vous, vicomte ? ou bien êtes-vous mort ? ou, ce qui y ressemblerait beaucoup, ne vivez-vous plus que pour votre présidente ? Cette femme, qui vous a rendu les illusions de la jeunesse, vous en rendra bientôt aussi les ridicules préjugés. Déjà vous voilà timide & esclave ; autant vaudrait être amoureux. Vous renoncez à vos heureuses témérités. Vous voilà donc vous conduisant sans principes, & donnant tout au hasard, ou plutôt au caprice. Ne vous souvient-il plus que l’amour est, comme la médecine, seulement l’art d’aider à la nature ? Vous voyez que je vous bats avec vos armes : mais je n’en prendrai pas d’orgueil ; car c’est bien battre un homme à terre. Il faut qu’elle se donne, me dites-vous : eh ! sans doute, il le faut ; & aussi se donnera-t-elle comme les autres, avec cette différence que ce sera de mauvaise grâce. Mais, pour qu’elle finisse par se donner, le vrai moyen est de commencer par la prendre. Que cette ridicule distinction est bien un vrai déraisonnement de l’amour ! Je dis l’amour ; car vous êtes amoureux. Vous parler autrement, ce serait vous trahir ; ce serait vous cacher votre mal. Dites-moi donc, amant langoureux, ces femmes que vous avez eues ; croyez-vous les avoir violées ? Mais quelque envie qu’on ait de se donner, quelque pressée que l’on en soit, encore faut-il un prétexte ; & y en a-t-il de plus commode pour nous, que celui qui nous donne l’air de céder à la force. Pour moi, je l’avoue, une des choses qui me flattent le plus, est une attaque vive & bien faite, où tout se succède avec ordre, quoiqu’avec rapidité ; qui ne nous met jamais dans ce pénible embarras de réparer nous-mêmes une gaucherie dont au contraire nous aurions dû profiter ; qui sait garder l’air de la violence jusque dans les choses que nous accordons, & sait flatter avec adresse nos deux passions favorites, la gloire de la défense & le plaisir de la défaite. Je conviens que ce talent, plus rare qu’on ne croit, m’a toujours fait plaisir, même alors qu’il ne m’a pas séduite, & que quelquefois il m’est arrivé de me rendre, uniquement comme récompense. Telle dans nos anciens tournois, la beauté donnait le prix de la valeur & de l’adresse.

Mais vous, vous qui n’êtes plus vous, vous vous conduisez comme si vous aviez peur de réussir. Depuis quand voyagez-vous à petites journées & par des chemins de traverse ? Mon ami, quand on veut arriver, des chevaux de poste & la grande route ! Mais laissons ce sujet, qui me donne d’autant plus d’humeur qu’il me prive du plaisir de vous voir. Au moins écrivez-moi plus souvent que vous ne faites & mettez-moi au courant de vos progrès. Savez-vous que voilà huit jours que cette ridicule aventure vous occupe, & que vous négligez tout le monde.